Chapitre 1.1

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Chapitre 1

« - Les enfants ! Du silence. Je sais que les vacances sont proches, mais nous n'avons pas finis de travailler ! »

Il faisait lourd en ce 11 Juillet 1940. L'été avait pointé le bout de son nez et les enfants étaient surexcités : à la fin de l'après-midi, ce serait les grandes vacances !

Sarah épongea de nouveau son front. Elle avait chaud. Horriblement chaud. Et les enfants n'aidaient pas à faire descendre la température.

Le nœud qui enserrait la gorge de la jeune femme depuis maintenant plus d'un mois se dissipait peu à peu. Cela faisait déjà un mois que les Allemands avaient pris Lille, mais ils n'occupaient pas le petit village.

Oh, certes, de nombreuses troupes Allemandes étaient passées dans le village durant le mois qui venait de s'écouler, mais aucune ne s'était arrêtée en chemin. Pourtant, au fond d'elle, Sarah savait que ce moment ne saurait tarder : le petit village de Boiscourt* été situé stratégiquement. En effet, Lille avait été rattachée à la Belgique et se trouvait sous l'autorité du Gouvernement Militaire pour la Belgique et pour les départements du Nord et du Nord-Pas-De-Calais.

Le village été situé sur la route menant à Lille mais également sur celle empruntée pour se rendre à Bruxelles. Il aurait été stupide de la part des Allemands de laisser ces petits patelins inoccupés, notamment lorsqu'on connaissait les liens que les régions du Nord entretenaient avec l'Angleterre.

Par peur d'un débarquement soudain des Anglais sur les plages du Nord, les Allemands ne laisseraient pas cette région inoccupée. Sarah le savait.

Pourtant, en dépit de ses craintes, elle s'était efforcée de garder le moral. Elle avait mis en place de nombreuses activités avec les enfants et avait été ravie de voir leurs traits marqués par la joie. Elle voulait leur offrir des instants de bonheur avant que les Boches n'arrivent.

L'institutrice fut tirée de ses pensées par Marcel, l'un de ses élèves :

« - Mademoiselle Moisson ! Mademoiselle Moisson ! s'époumonait-il.

- Du calme, Marcel. Je t'ai déjà dit que lorsque tu voulais me poser une question, il fallait lever le doigt et attendre que je te donne la parole. Ce n'est pas poli d'interpeler les gens de cette façon. »

Gêné, le petit garçon baissa les yeux et attendit sagement que Sarah l'autorise à parler.

« - Je t'écoute, Marcel, que voulais-tu me demander ? interrogea-t-elle.

- Bah... euh... marmonna le petit garçon visiblement gêné. Est-ce que c'est vrai que les Boches ils vont bientôt arriver ? Maman et papa, je les ai entendus ! Ils discutent ensemble le soir, quand ils croient que je dors. Et maman, elle dit que ça sera comme pendant la Grande Guerre ! Qu'ils vont tout piller et tout voler. »

Sarah fut prise de court. Le petit garçon avait relevé les yeux vers elle et on pouvait désormais lire de la peur dans ses yeux. Soudainement, Sarah fut en colère envers les parents du petit Marcel. Ne pouvaient-ils pas préserver leur enfant ? Éviter de parler de cela devant lui? La jeune femme s'était acharnée durant le mois passé à distraire les enfants, à essayer de les préserver.

Puis elle se souvint de la peur qu'elle avait elle-même ressentie lors de l'allocution du maréchal Pétain, une peur qu'elle avait enfouie et qui était, pourtant, toujours présente et tenace. Elle ne pouvait reprocher aux parents de Marcel d'avoir peur de l'avenir. De plus, le père Dubois était un enfant durant la Grande Guerre : il avait connu les atrocités dont s'étaient rendus coupables les boches. Alice lui avait elle-même raconté ces histoires.

« - Marcel, mon petit, il ne faut pas t'inquiéter. Tout ira bien. »

Sarah s'efforça de sourire à l'enfant, mais cela ne sembla pas le convaincre. Ni les autres d'ailleurs. L'angoisse habillait les petits visages et la jeune femme se jura qu'elle ferait tout pour qu'ils soient le moins impactés possible par la situation du pays.

« - Allons, les enfants. C'est notre dernier jour de classe et vous voulez me quitter avec ces regards tristes ? les taquina-t-elle. Dire que je voulais vous emmener jouer dans la cour... »

Soudain, les visages des enfants s'éclairèrent. Ils oublièrent instantanément leurs craintes et entourèrent leur maîtresse en poussant des cris de joie.

« - Du calme, du calme ! demanda Sarah. Rangez bien vos tables, et vous aurez l'autorisation de sortir jouer. »

Les enfants ne se firent pas prier et, quelques minutes plus tard, ils sortaient tous en courant dans la cour en poussant des cris de joie.

Sarah s'installa sur un banc et se mit à les observer. Elle ne put s'empêcher de sourire. Cette vision lui donna du baume au cœur. Elle ne laisserait pas la guerre leur prendre leur innocence.

Et sur le petit banc de bois, dans la cour de l'école élémentaire de Boiscourt, la jeune femme jura de protéger ces enfants qu'elle aimait tant.

Ce que Sarah ne savait pas, c'est que quelques jours plus tard, à la même heure, les Allemands seraient là.



*Village fictif situé dans l'actuelle région Hauts de France à proximité de Valenciennes.

L'Aigle NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant