Chapitre 3

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      Les étoiles brillaient comme milles diamants au–dessus de lui. Quelques nuages s'attardaient, la lune nimbait le campus de sa lumière froide et trompeuse. Ses baskets étaient trempées de rosée, il aurait dû frissonner de froid en cette soirée printanière. Mais son corps était brûlant, tellement qu'il fumait dans l'air glacial. Le silence était absolu, tous les bruits semblaient amortis par la nuit épaisse, mais dans sa tête tournaient des mélodies. Elles ne le quittaient plus désormais, étouffant ses pensées ; il les laissait l'envahir. Son regard noir était rivé droit devant lui, et il n'avait plus de masque à présenter. Il avait l'air d'un fou, marchant à grandes enjambées, son visage étrangement agencé.

Orion avançait donc rapidement à travers les pelouses de son université. Il laissait derrière lui son colocataire endormi, les surveillants, le couvre–feu. Il avait déjoué tous les obstacles, transgressant plus de règles qu'il ne l'avait fait dans toute sa vie, et ce avec une aisance qu'il l'avait étonné. Face à lui, la silhouette noire de la bibliothèque et des classes adjacentes se découpait sur le ciel bleuté ; il pénétra dans le bâtiment d'un coup d'épaule. La porte s'écrasa sur le mur d'en face avec fracas ; il avait déjà traversé la moitié du couloir. La classe de littérature ancienne. Où était–elle déjà ?

Il passa sans un regard devant le casier n°33. Le seul visage qu'il voyait était celui de son prof, peut–être celui de la chanteuse. Et comme par magie, un air de guitare s'éleva, reconnaissable entre mille, le même que l'autre soir. C'est comme si la mélodie l'appelait, et il ouvrit encore une porte avec fracas. Face à lui, le couloir noir, la bande de lumière, la fumée, l'odeur. Il pénétra dans la salle avec la même violence. Se dirigea droit sur le guitariste.

L'assemblée, semblable à la dernière fois, se leva, alarmée. Que faisait l'un des meilleurs élèves ici ? Seule la chanteuse rousse éclata d'un rire haut et clair. La mélodie, les chants s'arrêtèrent.

— Salut, prof.

— Orion ?

— En fait, tu es précisément comme moi. Tu me tourmentes parce que... parce que je suis tout ce qui tu as laissé derrière toi hein ? C'est ça, n'est–ce pas ?

Il posa la guitare d'un geste lent, considéra l'élève un instant. Orion voulait le voir se décomposer, tout avouer. S'effondrer. Il croisa les bras sur son large torse, et attendit, un sourire satisfait déjà peint sur ses lèvres, un sourire qui voulait dire « alors ? ».

Le guitariste se leva et le prit dans ses bras. Il s'écria « Je le savais ! » et le considéra, ses mains encore sur les épaules d'Orion.

— Je le savais ! T'as vu ça, cheffe ?

Décontenancé, Orion ne comprit pas tout de suite à qui il s'adressait. Il était cramoisi après l'embrassade de son professeur, et il ne comprenait pas pourquoi. Il regarda la chanteuse qui posait sur lui un regard moqueur. Il secoua la tête, baissa les yeux.

— Mmh oui tu avais raison, Jude. Intelligent, le petit Orion.

La voix était douce. Elle venait d'un coin de la pièce, un peu plus dans la pénombre. Une silhouette élancée se redressa, s'avança dans la lumière. Un instant ébloui, Orion considéra la femme frêle, et, abasourdi :

— Andrée ?

***


— Mais non, je suis Ivy.

— La prof d'Histoire ?

La femme hocha la tête. À la lumière, il était évident qu'elle n'était pas André, mais elles avaient le même visage rond, les mêmes traits enfantins. Sauf que la crinière de la professeure était entièrement blanche, et que dans ses yeux, d'un vert bâtard, brillait une lueur étrange. Comme un feu intérieur. Et les quelques rides qui marquaient ses traits n'enlevaient rien de sa splendeur.

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