— Et souvenez–vous, trop de liberté tue la liberté.
Dans la classe, les élèves hochèrent la tête d'un air entendu, sans s'apercevoir de la dangerosité de la phrase du professeur. Ils avaient été abreuvés d'inepties semblables depuis leur enfance, qui, à force de répétition, s'imposaient à eux sans difficulté. La solidarité, la nation, la droiture, les traditions, tous ces concepts flottaient autour d'eux en permanence et imprégnaient chacun de leur faits et gestes.
— Ah et on m'a dit de vous dire que la section des sciences sociales va être interdite à la bibliothèque, pour cause d'épuration. Et si vous voulez mon avis, tant mieux, parce qu'on ne sait pas quelles bêtises de l'ancien temps se cache dans ces ouvrages.
Le professeur remonta ses lunettes épaisses sur son nez busqué. Orion le considéra avec un mélange de mépris et de respect : c'était un professeur qui était toujours là où on l'attendait. Si parfaitement conforme qu'en dépit de son âge avancé – 43 ans ! – l'université ne le laissait pas prendre sa retraite. Il n'était pas facile de trouver quelqu'un qui soit un relai aussi efficace et docile au gouvernement, et Orion s'en attristait par conformité. Mais il était temps qu'il s'en aille rejoindre Coltrane, comme tous les adultes de plus de 40 ans. Ah la belle cité de Coltrane...
— Bon, mes chers élèves, je vous libère.
Personne ne broncha.
— À demain, et n'oubliez pas vos blouses de chimie. Vous pouvez disposer !
En silence, chacun se leva et rangea rapidement ses affaires, avec des gestes fluidifiés par l'habitude. C'était seulement hors des salles que les élèves étaient autorisés à papoter. Orion lança derrière son oreille un mèche blonde pastelle et se mêla au flux d'élève pour sortir de l'amphithéâtre.
— Hey !
— Oh, salut Andrée.
Il sursauta à moitié. Depuis la veille, il avait la tête dans les nuages, et dès qu'il fermait les yeux, sa tête tournait et il voyait, en flashs rapides, les regard du guitariste, de la chanteuse. La fumée devant les ampoules. Les pieds qui frappaient en rythme. Les cendriers remplis. Il secoua la tête et braqua son regard sur la jeune fille qui lui souriait d'un air avenant.
— Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Bien dormi ?
— Ca va. Juste... un cauchemar que j'ai fait.
— Oh mon pauvre, murmura–t–elle.
— C'était rien, t'inquiètes pas.
Il aurait voulu effacer l'air faussement triste de la jeune femme, il ne sut pourquoi. Elle lui ressemblait pourtant, avec ses cheveux blond clair, ses yeux foncés. Son visage était agréable, ses expressions étaient sages. Ses traits étaient fins, mais sans surprises. Il n'y avait rien à découvrir derrière ses expressions, rien à décoder de ses petits tics. Orion ne sut pourquoi, mais elle l'agaçait en cet instant, si parfaitement maîtresses de ses émotions, si parfaitement hypocrite. Prévisiblement gentille.
Il l'aimait pourtant, il en était sûr. Elle était exemplaire, et cela lui avait toujours convenu, alors pourquoi ce sentiment d'insatisfaction ?
— On va en cours de relations internationales ?
Il hocha la tête, et un joli sourire aimable barra le visage de la jeune femme. Elle lui prit timidement la main et l'entraîna dans les couloirs bondés. Il la laissa parler, répondant au mieux qu'il pouvait. Son esprit voyageait dans l'université endormie de la veille, et il avait du mal à s'accrocher à la réalité. Il n'avait prise sur rien, comme si tout glissait sur lui.
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Les rêveurs
ParanormalOrion a toujours vécu dans la conformité. Se pliant à toutes les exigences, il est le parfait élève. Pourtant un soir, suivant son intuition et une musique dans son université endormie, il découvre un nouveau monde : celui où les gens sont libres et...