Adossé à l'immense portail vert, réhaussé de doré aux pointes, Jude offrait son profil à la foule d'étudiant qui sortait du bâtiment. Personne ne le regardait ; il avait remis son costume. Sa crinière était disciplinée en un chignon dans son cou, sa veste était d'une banalité agaçante. Orion le considéra un instant, et le compara à celui qui l'avait raccompagné la veille au soir ; le jeune guitariste libéré, authentique, qui riait de ses bouderies et le prenait dans ses bras si facilement. Était–il lui aussi, Orion le bon élève, pitoyablement comprimé, si peu à sa place ? Il médita sur cette question, sa confiance en lui effondrée, laissant un doux vide en lui, un vide qui appelait à être rempli de neuf. Aussi, quand la cour fut déserte, il s'approcha à pas feutré, irradiant de bonheur.
Jude se tourna vers lui. Un instant, son sourire fut franc puis éclatant, mais en une seconde, son visage se fit sévère, professionnel. Orion faillit éclater de rire, son sourire s'agrandit.
— Bonjour, Monsieur, fit–il d'un ton narquois.
— Bonjour, cher élève. Arrête de m'appeler Monsieur, j'ai deux ans de plus que toi.
***
Orion faillit éclater de rire en rentrant dans la roulotte. La chambre typique du nerd, pensa–t–il immédiatement. C'était une vision attendrissante : un lit simple, avec des draps délavé et démodé. Une chaise de bureau cassé au fond de la pièce, à côté d'un meuble presque vide : un clavier et des casque audio cassés, des baskets de sport, quelques figurines, y gisaient. Un placard de bois, large et haut, d'où on pouvait apercevoir de belles chaussures de cuir noir à côté de vieilles bottes de rockeur. Au dessus, des vêtements sombres, parfois cloutés, et très peu de couleurs. Un tapis usé mais coloré, des tapisseries psychédéliques contre les murs en bois. Le parquet qui craque à chaque mouvement. Attendrissant.
— On ne reste pas longtemps, dit Jude en se débarrassant de ses lunettes et des ses chaussures. Je dois juste changer de haut. Je supporte pas ces pulls démodés, putain.
Orion rougit quand Jude s'extirpa de son pull en se tortillant. Il aurait dû, voulut, détourner les yeux, mais n'y parvint pas. Le corps de l'autre était orné de tatouages, parfois des petits dessins, parfois des énormes. Un aigle déployait ses ailes sur le dos, d'une épaule à l'autre, et semblait vivant quand Jude bougeait. Ce dernier prit dans l'armoire un débardeur orné de dessins très coloré, un nom de groupe de musique en plein centre. Le débardeur, très lâche, était très échancré sous les bras, laissant voir les côtes et les muscles du jeune homme.
— Je devrais me changer aussi, non ? Demanda soudain Orion, bien qu'il n'ait aucune idée du lieu où ils allaient.
— Ah oui, pourquoi pas. Même si tu es un peu plus petit que moi.
Orion faillit protester, mais le rire de l'autre le prit de court. Ainsi que le t–shirt qu'il reçut en pleine tête. Il l'enfila rapidement, tant que l'autre ne le regardait pas.
— Il me va plutôt bien non ? Malgré mon nanisme.
— Mmh c'est vrai. Pas assez pour menacer mon charme naturel.
Le sarcasme était tellement rare qu'Orion ne sut pas comment répondre. Il haussa les épaules et sortit de la roulotte ; l'autre l'y rejoignit rapidement, ayant troqué ses chaussures en daim pour des bottes noires compensées. Il avait aussi détaché ses longs cheveux lisses, qui tombaient comme un fin rideau sur ses omoplates. Orion ne put qu'admettre qu'il était magnifique, transfiguré quand il s'habillait comme il voulait.
— On y va, c'est en pleine ville. À pied, il y a à peine dix minutes.
Ils se mirent en marche, côte à côte ; à présent, il n'y avait plus aucune hiérarchie entre eux. Orion se sentait bien ; le campus, dans son dos s'éloignait, et le lien avec tout ce que représentait l'université se distendait agréablement. La ville, avec ses immeubles trapus et bas, ses maisons aux crépis colorés, s'imposèrent peu à peu sur le ciel limpide. C'était une modeste cité ; une centaine de milliers d'habitants, une architecture archaïque, digne du début du XXIème siècle. A peine un métro, un tramway, et beaucoup de voiture. Leur phare scintillait, les pare–chocs reflétait les étoiles. Les rues étaient presque entièrement vides quand ils arrivèrent.
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Les rêveurs
ParanormalOrion a toujours vécu dans la conformité. Se pliant à toutes les exigences, il est le parfait élève. Pourtant un soir, suivant son intuition et une musique dans son université endormie, il découvre un nouveau monde : celui où les gens sont libres et...