4

11 3 1
                                    

Vé tire sur mon bras – fin, pas une vraie interaction physique, plutôt une onde qu'il fait vibrer dans mon bras – et m'indique d'une autre onde une nana qui vient d'entrer dans la bibliothèque. Il est un peu libidineux par moments, mais je dois avouer qu'elle est charmante. Elle a des cheveux lilas qui partent dans tous les sens, assez courts. Ses chaussures sont dépareillées : au pied gauche elle porte une converse verte, et au droit une converse violette. Une grande écharpe à carreaux enroulée autour du cou et merveille, un énorme pull en laine. J'adore les pulls en laine.

Je la regarde évoluer, tourner la tête sur le côté pour lire les titres, s'accroupir pour atteindre les livres un peu planqués. Elle furette. Finalement, elle semble trouver son bonheur. Elle s'approche, le pas guilleret. Un petit fantôme flotte derrière elle, minuscule deuil. Peut-être un ongle cassé.

Elle pose ses livres sur le bureau, les fait glisser vers moi.

« Bonjour.

-Bonjour.

Belle entrée en scène d'Al le conquérant.

Non j'déconne.

Mais imagine quand même.

- Je peux avoir votre nom s'il vous plait ?

Ses yeux pétillent.

- Vous allez vite en besogne, vous.

Décontenancé, je regarde les ouvrages. Wells, Werber. Salut mes beautés. Elle ajoute :

- Saul. S – A – U – L . Lua

J'entre le nom et scanne l'Ile du Docteur Moreau, un petit sourire perché sur le bord de mes lèvres.

Deux autres bips suivent le premier – un pour l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, un autre pour l'Arbre des Possibles. Le bébé sourire fleurit.

- Vous allez adorer.

Mes mots sonnent comme une prophétie.

- J'en attends pas moins.

Ses mots résonnent comme une promesse de rendez-vous.

- Vous avez lu l'Arrache-Coeur ?

- Pas encore, je devrais ?

- Ca pourrait vous plaire.

- La prochaine fois alors. Je vous donnerai mon avis sur ceux là.

Elle désigne les livres d'un mouvement de ses manches immenses. Sa main est engloutie dans la laine. Le bout de ses doigts réapparaît pour saisir les bouquins. Des doigts de fée aux ongles bleus comme Vé. Elle me plaît de plus en plus.

- J'ai déjà hâte d'y être.

Son sac engloutit les emprunts au même moment. Un trou noir au même titre que ses manches. J'adore.

Elle me fait un clin d'oeil en ouvrant la porte.

- A bientôt. »

Son petit fantôme a disparu. Un autre deuil déjà oublié. Ou englouti par Vé. Je me lève chercher un verre d'eau. La tête me tourne comme si je sortais d'une machine à laver. Des étoiles s'épanouissent sous mon crâne. Lua. C'est charmant.

J'espère qu'elle lit vite. Le fantasme éclot sous mes paupières. Elle prend un verre avec moi. Elle me parle et ses yeux brillent et je ne vois rien d'autre qu'elle et les paillettes dans ses iris. On se balade dans les rues tortueuses de la ville, éclairés par les lampadaires. On va chez moi. Dans une autre version, on va chez elle. On s'enfume. On s'embrasse. On s'enlace.
Je dois absolument l'inviter à boire un verre.

Je croise très très fort les doigts sous mon bureau et touche du bois. Qu'elle revienne vite.

Je rentre chez moi, toujours sur un petit nuage. Lua Saul. S – A – U – L. Sa voix résonne encore dans ma caboche. Je lance le chronomètre jusqu'à son retour.

GhostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant