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L'après-vie, c'est un monde compliqué. Je ne suis pas un grand spécialiste du monde spectral, mais Vé, en sa qualité de fantôme, m'a transmis les bases. Les fantômes sont divisés en 4 castes : les Person, les Spectateurs, les Acteurs, et les Nomades.

Edmond Wells, personnage de Werber, explique dans son Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu la symbolique des chiffres.

Je cite :

"L'aventure de la conscience suit la symbolique des chiffres, lesquels ont été inventés il y a trois mille ans par les Indiens.

La courbe indique l'amour.

La croix indique l'épreuve.

Le trait horizontal indique l'attachement.

Examinons leurs dessins.

« 1 ». Le minéral. Un pur trait vertical. Pas d'attachement, pas d'amour, pas d'épreuve. Le minéral n'a pas de conscience. Il est simplement là, premier stade de la matière.

« 2 ». Le végétal. Un trait horizontal surmonté d'une courbe. Le végétal est attaché à la terre par sa barre horizontale symbolisant sa racine qui l'empêche de se mouvoir. Il aime le ciel et lui présente ses feuilles et ses fleurs pour recueillir sa lumière.

« 3 ». L'animal. Deux courbes. L'animal aime la terre et aime le ciel mais n'est attaché ni à l'un ni à l'autre. Il n'est qu'émotion. Peur, désir... Les deux courbes sont les deux bouches. Celle qui mord et celle qui embrasse.

« 4 ». L'homme. Une croix. Il est au carrefour entre le « 3 » et le « 5 ». Le « 4 » est le moment de l'épreuve. Soit il évolue et devient un sage, un « 5 », soit il retourne à son stade « 3 » d'animal.

« 5 ». L'homme conscient. C'est l'inverse du « 2 ». Il est attaché au ciel par sa ligne horizontale supérieure et il aime la terre par sa courbe inférieure. C'est un sage. Il a transcendé sa nature animale. Il a pris de la distance par rapport aux évènements et ne réagit plus de manière instinctive ou émotionnelle. Il a vaincu sa peur et son désir. Il aime sa planète et ses congénères tout en les observant de loin.

« 6 ». L'ange. L'âme éclairée est libérée du devoir de renaître dans la chaire. Elle est sortie du cycle des réincarnations et n'est plus qu'un pur esprit, lequel ne ressent plus la douleur et n'a plus de besoins élémentaires. L'ange est une courbe d'amour, une pure spirale qui part du coeur, descend vers la terre pour aider les hommes et achève sa courbe vers le haut pour atteindre encore la dimension supérieure.

« 7 » ; Le dieu. Ou du moins « l'élève dieu ». L'ange, à force de s'élever, touche la dimension supérieure. Tout comme le « 5 », il a une barre qui l'attache en haut. Mais au lieu de présenter une courbe d'amour vers le bas, il a une ligne. Le « 7 » est là encore une croix, comme un « 4 » renversé. C'est donc une épreuve, un carrefour. Il doit réussir quelque chose pour continuer à monter."

Werber pousse la logique plus loin dans sa trilogie sur les dieux. Il ajoute un « 8 », dieu. L'amour. L'infini. Il va même jusqu'à créer le neuvième niveau de conscience, le dieu du dieu. La Lumière. Les Ténèbres. L'Absolu. Le Tout et le Rien. Et même un 10 ! Mais là, je vous spoilerais si j'en parlais.

C'est cet enseignement qui permet de caractériser les différents fantômes. Si chacun évolue à sa manière et à divers niveaux de conscience, une classification s'est quand même mise en place. Les Spectateurs sont des fantômes au niveau 2 ou 3. Ils observent le monde, stagnent aux endroits de leur naissance. Ils n'ont pas d'incidence sur le monde. Peut-être qu'ils se présentent à la lueur de la Lune, comme les fleurs tendent leurs pétales au Soleil. Ils sont un peu semblables à ces mendiants sans âme, qui ne lèvent même plus les yeux face aux passants. C'est la léthargie, l'apathie. L'âme est coincée au stade du déni : l'état de choc face à sa mort bloque son accès au cycle des réincarnations. Certains n'en sortent jamais, ce sont les grabataires du monde des morts. Ce sont ces fantômes dans les livres, qui attendent qu'un exorciste ou une petite fille vienne libérer leurs âmes. Sans rien faire. J'aime à penser que ce ne sont que quelques décennies sabbatiques avant d'atteindre le niveau de conscience au-dessus. L'humain a raison dans sa peur de la mort, mais ses prétextes sont tout pétés. Si ils savaient. C'est pas la mort en elle-même le problème. Là où la mort pose problème, c'est qu'elle représente soit le début d'une longue aventure, soit la répétition de cycles, (de quoi rendre fou ! Heureusement que les anges taisent nos souvenirs à la renaissance, l'humanité n'est pas faite pour accepter que tout n'est que cycles.) soit la léthargie avant la grande aventure. La mort n'est pas néant, la mort n'est pas calme. Même lorsque le corps a refroidi. Brrrrr.

Les Acteurs sont des fantômes de niveau 3, parfois 4. Ce sont les fantômes dits tapageurs, ils font du bruit, ils sont pas contents. Agrrrrou, vlan ! Vilain fantôme fait claquer les portes. C'est ceux que les chasseurs de fantômes traquent, parce que ce sont les seuls qui se manifestent. Ils restent généralement près de l'endroit où la vie les a laissés. Sur le bord de la route parfois. Cf la Dame blanche. C'est fou, d'avoir un fantôme sur l'épaule, ça rend le monde plus rationnel. Un euro dans la boîte à paradoxes.

Les Nomades m'ont l'air d'avoir atteint le niveau encore au dessus, je pense que ce sont des 5. En fait, Vé n'en sait pas tant que ça sur eux. Comme leur nom l'indique, ils bougent régulièrement et forment une communauté à part. On raconte qu'ils cherchent la Vérité. C'est la communauté hippie fantomatique, une bande de philosophes qui développent sans enveloppe. Vé semble empreint d'énormément de respect envers eux, ça doit être le caractère mystique du peuple. Comme une aura de mystère. Au fond, ils flottent, comme Vé et tous les autres.

Les Person, dont Vé, sont particuliers eux aussi. Ce sont des fantômes rattachés à des êtres. Lorsqu'un être fait le deuil de quelque chose – ce qui arrive tout au long de la vie, et ce dès la naissance – il crée un fantôme. Certains disparaissent spontanément, lorsque le deuil est digéré. Vous y penserez la prochaine fois que vous ferez tomber votre tartine, et que vous aurez à en faire le deuil. Pensez au petit fantôme auquel vous aurez donné naissance, et qui s'évaporera dans un « pop » inaudible dès que vous aurez attrapé une autre tranche de pain. Ne me remerciez pas.

Vous savez, quand quelqu'un meurt, certains dans l'entourage du défunt affirment continuer à le voir et l'entendre. Ils disent alors que c'est le fantôme de leur proche, et en fait, ils n'ont pas vraiment tort. En réalité, c'est la projection de leur deuil. Le fantôme prend d'abord l'apparence un peu translucide du mort avant de se fondre dans sa forme de spermatozoïde coloré. C'est à cette période qu'il disparaît, quand il disparaît.

Un fantôme est donc un deuil, silencieux et temporaire pour la plupart des gens, la plupart du temps.

Mais lorsqu'un être touche le fond, il fait le deuil de lui-même. La Person s'apparente alors à un alter ego de la personne – parce qu'elle l'est. Quand on creuse au fond de soi, on tombe sur soi. Rien de plus logique.

Les Person sont des âmes qui sont sorties du cycle de réincarnations mais refusent de s'élever au rang d'Ange. Elles renaissent imperceptiblement, en parallèle d'une autre âme. Ce n'est pas un phénomène si rare, beaucoup d'humains ont le luxe de la Double Ame. Il faudrait simplement qu'ils touchent le fond. Comme cette vieille histoire du phénix.

Les Person n'ont pas de comptes à rendre, ils sont simplement là, suivant la route de l'endeuillé. Ils se résorbent parfois, retournant à leur état latent d'âme en sommeil. Mais ils sont là. Toute ma vie, j'ai senti que je n'étais pas entièrement seul. Même au plus profond de la solitude, même dans la plus mélancolique des tempêtes, même dans la douleur la plus vivace, Vé était là, que je le sache ou non. Je sais qu'il a couvé ma vie dans la chaleur de ses yeux jaunes, avant même que nos regards se croisent. Avant même que j'ai posé des mots sur son existence. Avant même que je ne vois les fantômes. Il a toujours été là.

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