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Les jours s'écoulent tout doucement. L'automne et ses nuages s'épaississent.

Une semaine flotte. 168 heures.

Une semaine et un jour. 192 heures.

Une semaine et 2 jours. 215 heures. Elle est venue une heure plus tôt que la fois d'avant.

Toujours ses épis violets. Je remarque cette fois un trombone vert à son oreille, auquel pend un minuscule pendentif en forme de crâne. Elle porte une large veste en cuir qui lui mange la moitié du corps. Toujours aussi charmante, je tombe toujours sous le charme.

Il faut que je l'invite à boire un verre.

A peine entrée, elle décoche un regard dans ma direction. J'ai piqué son intérêt je crois. 1 point pour moi.

J'ai toujours été un tombeur. Déjà en moyenne section les filles se ruaient sur moi. Il faut dire que j'avais des sacrés goûters à l'époque.

Sa main plonge dans son sac bandoulière. Elle en ressort ses emprunts de la semaine passée.

A mieux y regarder, on a quasiment le même fourre-tout. Sauf que le sien est caparaçonné de divers patchs et pin's, tandis que le mien est recouvert de motifs psychédéliques. Et le modèle diffère un peu. Le sien a plus de poches. Peut-être même un porte-cartes. La chance.

Comme la dernière fois, elle les fait glisser sur le bureau. Ses yeux pétillent. Comme dans mes fantasmes. Rawrr.

J'engage :

« Alors ? Vous avez aimé ?

Un grand sourire fend son joli minois.

- Je commence par lequel ?

- Wells ?

- J'ai adoré.

- Pas trop gloomy ?

- J'ai lu bien pire.

Elle appuie ses dires d'un clin d'oeil. Vé émet une vibration qui résonne dans tout mon corps. T'as raison mon grand.

- Et Werber ?

- Du grand génie. La nouvelle sur la main qui exige son autonomie m'a fascinée. Celle avec l'humainière m'a laissée béate. L'ironie de celle sur le voyage dans le temps m'a achevée.

Je prends un air libidineux.

- Vous en voulez encore ?

Elle me répond sur le même ton.

- Montrez moi tout ce que vous avez.

Je ris doucement, et mon rire s'emmêle à mes mots.

- Ca vous dirait de visiter ma réserve ?

Elle caresse le bureau avant de relever les yeux.

- Et vous, ça vous dirait de visiter la mienne ?

- On pourrait pas plutôt aller boire un verre ?

Les mots sont sortis tout seuls. Comme des grands, sur leurs petites jambes, ils ont franchi le seuil de mes lèvres. Ils sonnent plutôt bien. Je croise les doigts sous mon bureau.

- Vous m'invitez ?

- Si vous venez, oui.

Elle fait mine de réfléchir. Lève les yeux au ciel comme si elle questionnait dieu. Se masse les tempes en signe d'intense réflexion. J'attends patiemment, les doigts toujours croisés très fort.

Elle feint de se gratter la barbe avant de reposer son regard sur moi.

- C'est d'accord. Mardi soir. Je passe vous chercher à la bibliothèque à 18h15, ça vous va ?

- On peut se rejoindre quelque part si vous voulez.

- La bibliothèque peut être notre point de rendez-vous.

Ca se tient. Elle en a dans le ciboulot, sacrebleu. Moi je pédale dans la semoule, les mots s'enchaînent sans que je ne les contrôle. Toujours cette sensation de sortir d'une machine à laver. Je commence à aimer ça.

- C'est vrai. Mardi soir alors, 18h15.

- Parfait !

Elle m'accorde encore un de ses clins d'oeil, et je tombe encore sous le charme. Elle s'éloigne vers le rayon V/W et s'accroupit, comme la dernière fois, la tête penchée sur le côté. Elle sort un livre de son rayon. Je le reconnais de là où je suis, cette couverture reliée, c'est l'Arrache-Coeur. Je la regarde tandis qu'elle apprécie la qualité de l'ouvrage. J'ai fais exactement pareil la première fois que je l'ai tenu dans mes mains.

Elle fait deux pas en canard, toujours accroupie, pose le livre sur ses cuisses, et retourne à ses recherches. Elle trouve rapidement son bonheur et ajoute prestement deux œuvres à sa pile, qu'elle me ramène. Les deux premiers tomes des Fourmis, et évidemment, l'Arrache-Coeur.

M'auto-caricaturant, je lui déclame :

- Vous allez adorer.

Mes mots sonnent comme une blague vieille comme le monde. C'est l'histoire d'un pingouin qui respire par les fesses...

- Je vous fais confiance. On verra mardi soir, je vous dirai ce que j'en pense.

- J'en languis déjà.

Instinct de bibliothécaire que de flirter en grande pompe.

Je scanne les bouquins et lui rend. Elle me remercie. Les livres disparaissent une fois encore dans son sac de Mary Poppins. Ca me fait toujours de l'effet.

On se dit au revoir, à mardi, bonne lecture et bon week-end. J'hésite à ajouter un « bisous », mais Vé me gronde via ses ondes, alors je me tais. Je lance le minuteur de mon téléphone. Un rapide calcul et je le définis sur 98 heures.

GhostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant