Hell's Sky : Menace Invisible

Mission

KYLE

Sans un mot, Sam me mène jusqu'à son bureau d'un pas nerveux. Je redoute déjà ce qu'il va me dire. Tandis que j'entre, il me fait signe de fermer la porte et m'invite à m'asseoir face à lui. Sans plus de cérémonie il m'annonce :

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Tu étais là et maintenant que tu es au courant pour ma fille, j'aimerai que tu me rendes un service.

Curieux, je hoche la tête afin qu'il poursuive et m'en dise un peu plus sur ce fameux service.

- Je souhaiterai que tu gardes un œil sur Lana.

- Pourquoi ? Et pourquoi moi ? m'empressé-je de demander les sourcils froncés.

- Écoutes fiston. Tu es quelqu'un de discret, un vrai fauve. Et j'ai entièrement confiance en toi. Je ne te demande pas de faire ami-ami avec elle, simplement de surveiller ses arrières.

- Et pourquoi a-t-elle besoin d'être surveillée ?

- Kyle. Tu imagines si un club ennemi apprend que j'ai une fille et qu'elle est ici ? Il pourrait s'en prendre à elle. Tu le sais. Et avec ce qui se trame avec les Sealers...

- Bien sûr mais...

- Je te demande ça en tant qu'ami. Mais je pourrai aussi t'y obliger en tant que président du club, me coupe-t-il sèchement d'un regard dur.

Après quelques minutes silencieuses, j'abdique finalement. Je n'ai pas vraiment le choix en réalité. Refuser un ordre du prez, c'est remettre en question son autorité. Et ce genre de pratique se règle le plus souvent à mains nues.

- OK. OK. C'est bon je garderai un œil sur ta progéniture ! grogné-je les mains en l'air.

- Et je t'en remercie fiston. Il faudra que tu sois discret. Elle est sur ses gardes depuis...

- C'est quoi l'histoire Sam ? le coupé-je.

L'air épuisé, il passe sa main sur son visage et soupire bruyamment. En l'espace d'une seconde il l'air d'avoir pris 20 ans de plus.

- Une sale histoire... Et ce n'est pas à moi de te la raconter fiston. La seule chose que tu dois savoir, c'est qu'elle a vécu des trucs vraiment moches, qu'aucune gamine de son âge n'aurait dû affronter. Aucune personne dans ce monde d'ailleurs. C'est un miracle qu'elle soit encore en vie Kyle.

Qu'est-ce que la petite française a bien pu vivre pour mettre Sam dans cet état ? On en a vu des choses. Des choses affreuses, qui te poursuivent toute une vie et qui te dégoute de la vie. Mais je n'avais encore jamais vu Sam comme ça. Et je doute que ce soit simplement par amour pour sa fille. Non, il y a autre chose. je vois l'horreur et la culpabilité dans son regard, le même que lorsque Lana s'est emportée contre lui tout à l'heure.

Je me faisais discret. Je pense que pendant un moment ils en avaient même oublié jusqu'à ma présence. Je sais que j'aurai dû sortir. Mais c'était plus fort que moi. Je voulais être là. Près d'elle. Savoir qui elle était.

Et il faut dire que je ne m'attendais pas à découvrir qu'elle était la fille cachée du Prez'.

Ni à ce qu'elle me brise le cœur avec sa souffrance.

Lorsqu'elle a posé ses petits doigts sur la toile et qu'elle en a tracé les contours, j'en ai eu le souffle coupé. Elle était si belle. Si fragile. Si vulnérable. Si parfaite.

L'ironie du sort, c'est que j'ai toujours adoré cette toile. Elle a toujours représenté une certaine forme d'espoir pour moi, alors que pour elle, cette toile représente sa souffrance.
Celle d'avoir perdu son père.

J'entends encore le tremblement de sa voix, je revois les larmes couler sur son beau visage et je ressens encore toute sa tristesse. C'était d'ailleurs visible à travers ses beaux yeux bleus emplies de larmes. Elle paraissait si fragile et vulnérable à cet instant, que j'ai moi-même faillis verser des putains de larmes.

Elle avait le regard innocent de cette petite fille qu'elle était autrefois.

Je crois que mon cœur s'est véritablement brisé lorsqu'elle a laissé exploser sa colère.

Je sais. Ça peut sembler étrange dit comme ça.

Mais ce n'était pas une banale colère. Non. C'était bien au-delà de ça. Elle criait sa colère contre le monde entier. Contre ce destin, qui peut parfois se montrer si cruel. Cette colère que chacun d'entre nous ressent par moment, celle qui est présente en chacun de nous. Celle qui vous étouffe et vous empêche de respirer. Celle qui vous rend à la fois impuissant et fragile, fort et faible, courageux et vulnérable. Celle qui peut vous rendre meilleur ou vous transformer en monstre. Celle qui paraît presque divine, tant elle emporte tout sur son passage, tant elle paraît parfois insurmontable.
Non. Elle ne criait pas à son père sa souffrance. Au contraire, elle la criait au monde entier, au passé, au présent, et peut-être même à l'avenir.

Fermant les yeux en repensant à cet instant, je laisse se dissiper toutes mes émotions et referme mon cœur de pierre. Lorsque j'ouvre les paupières, je regarde Sam droit dans les yeux et lui annonce :

- Je la protégerai Sam. Il ne lui arrivera plus rien, je t'en fais la promesse.

Sam acquiesce, plein de reconnaissances, et me remercie. Je hoche la tête, silencieux et me lève de mon siège pour quitter son bureau.

Arrivé à la porte, la main sur la poignée, je me stoppe et me tourne lentement vers Sam. Je l'observe quelques secondes alors qu'il a le regard dans le vide et lui dis d'un ton sérieux :

- Tu sais que c'est dangereux pour elle de rester ici.

Sam relève lentement les yeux vers moi, ne répond pas et se contente de hocher la tête.

Il sait.

***