Le SS

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Prologue :

L'officier SS, Elias Freitag regardait à travers le rideau de pluie qui tombait sur le rideau de fer. Son haleine formait un nuage blanc dans la nuit noire. La brûlure dans sa poitrine contrastait avec la température glaciale de son uniforme.

Ses bottes claquaient sèchement sur les flaques d'eau. Il avançait le long d'un chemin terreux et désert entre deux murets.

À sa gauche, la base et à sa droite, le ghetto.

C'est dans ce dernier qu'il se dirigeait pour faire sa garde nocturne. Cela faisait deux semaines que c'était la même routine : une marche lente en forme de rectangle pour contrôler les murets. 3000 pas environ. L'autre jour, un des officiers a découvert un trou par lequel les enfants se faufilaient. Ils avaient été pris à chaparder de la nourriture dans les tentes des officiers.

Ce trou avait été rebouché mais il y en avait alors d'autres qui se créaient un peu partout. Le mur gruyère, voilà comment on aurait dû l'appeler.

Cette nuit-là, le jeune officier finissait soigneusement sa ronde lorsqu'il tomba sur une silhouette anormale devant lui. Elle s'approchait d'un pas vif et pressé avec une détermination farouche qui le fit reculer d'un pas soupçonneux.

La sortie n'était qu'à quelques mètres mais la pluie drue estompait sa vision.

Il leva une paume pour lui faire signe de s'arrêter à une distance respectable mais elle continuait à avancer. Ce qui le força à pivoter son fusil en position d'épaule. Il lui ordonnait de s'arrêter d'une voix sèche et dure.

Alors elle ralentit mais il ne lui restait que trois pas à faire pour raccourcir la distance. Sous un châle trempé, les contours du visage d'une jeune femme se dessinait.

Ses yeux bleus contenaient un feu ardent et une peine immense qui troublait l'officier SS.

— Prenez-la. Prenez Loïs, lui suppliait-elle.

Ses mains tendirent un bébé enroulé dans une couverture grise. Les gouttes de pluie tombèrent sur son visage rond et blanc en forme de lune. Il était profondément endormi et était minuscule.

L'officier SS, bouche bée, regardait tour à tour la mère et le bébé. Ses mains lâchèrent prises et le fusil retenu par une lanière vint se ranger mécaniquement dans son dos, canon vers le sol.

— Sauvez-la. Par n'importe quel moyen. Elle n'a qu'un an.

Elle pressait l'enfant contre son torse au niveau du motif SS cousu sur sa poche avant gauche. Ils se dévisageaient dans un instant de torpeur et de stupéfaction, le cœur battant la chamade, le sort d'une vie entre eux.

Aucun mot ne sortit de la bouche de l'officier mais lorsqu'une voix retentit derrière eux avec le son d'une porte qui s'ouvre, il accepta l'enfant.

Il avait pris sa décision sans vraiment trop réfléchir.

D'un claquement de doigts. D'un battement de cœur.

Dans un silence tremblant et agité, ils firent en sorte de la mettre dans son manteau, déjà épais, qui cacherait sa présence sans éveiller les soupçons.

— Loïs, répétait-elle dans un murmure attendrissant, dans un dernier sanglot d'amour.

Un dernier regard et elle disparaissait dans l'obscurité.

L'officier réalisa alors qu'il avait oublié le son de la pluie comme s'il ressortait subitement d'une bulle hors du temps qui venait d'éclater. Le poids contre son torse était bel et bien réel. Un second battement de cœur faisait écho au sien.

Retournant sur ses pas, il était sorti du ghetto, les bras autour de lui pour suggérer son froid insupportable alors qu'il portait l'enfant le plus prudemment possible. Comme un cheval de course, les yeux droits devant lui, il ne fit aucun détour et prit le chemin direct à la frontière.

Les officiers qu'ils croisaient ne lui daignaient à peine un regard et se pressaient. Sous la pluie, il était quasiment invisible, ombre furtive et rapide.

Il priait pour que la petite restait endormie à tout prix. Il craignait qu'elle manque d'air ou qu'elle puisse étouffer dans sa chaleur.

L'ennemi était partout.

La mort était partout.

Mais il continuait à avancer.

En officier SS.

En mission de sacrifice pour sauver une vie.

Jusqu'à être arrivé au pas de la porte d'une maison située en haut d'une colline. Les fenêtres brillaient et promettaient de la chaleur à l'intérieur. Il entra sans frapper car il était chez lui.

Chez sa famille.

Trempé comme il était, il avait choqué sa mère. Puis en ouvrant délicatement les pans de son manteau, ses plaintes s'étaient brusquement tus. Le silence rare de sa femme avait interpellé l'époux qui avait pivoté d'un quart de tour dans son fauteuil pour voir la scène.

Il en fit tomber sa pipe qui tomba dans la cheminée au milieu des flammes. Aussitôt sur pieds, il partit fermer les rideaux des fenêtres.

Elias avait passé la petite endormie dans les bras de sa mère. Celle-ci la berçait en affichant une expression à la fois blême et béate de bonheur. Il savait qu'elle comprendrait, elle la première. Son père affichait une expression d'angoisse et désapprobatrice en regardant son fils.

Sans un mot, sans se justifier, Elias enleva son uniforme SS et s'assit sur la chaise la plus proche pour leur raconter. Ses traits étaient épuisés et tendus, son état mental grave.

Il avait brisé son existence.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 13, 2021 ⏰

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