Seastar

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La mer est déchaînée.

Les vagues ondulantes forment des collines bleues mouvementées. Elles chantent à l'unisson d'un chant triomphant et grave sous le ciel sombre qui menace de s'écrouler sur la mer.

C'est au milieu de ce chaos éclaboussant et puissant, que Sir Noé vit une silhouette familière au-dessus des eaux. Comme un éclair fugace. Le vent est assourdissant et pourtant, elle semble courir contre lui avec une facilité déconcertante.

Bouche bée, le souffle coupé, il vient se pencher contre le rebord, le torse au-dessus de l'eau et les bottes glissantes sur le sol mouillé du bateau. Le capitaine et les matelots lui crient de s'abriter. Leurs voix étouffées par le capharnaüm autour d'eux. Le bateau tangue comme s'il avait bu trop de rhum.

Stupéfait, Sir Noé la voit dans toute sa splendeur et s'exclame.

Nu-pieds, l'air déterminé, elle saute de colline en colline avec l'élégance d'une danseuse. Sa longue chevelure vole derrière elle tel un soyeux ruban orange. Sa robe verte trempée moule son corps et s'enroule autour de ses genoux. Un sourire aux lèvres, ses yeux croisent l'espace d'un instant éternel dans le temps, les yeux de l'homme émerveillé.

La princesse de la mer vient à la rencontre de son prince de la terre.

Sir Noé échappe un rire euphorique. La peur a cédé à l'étrange et à l'excitation.

Toute l'équipe voit ce qu'il voit. Leur silence contemplatif est éloquent. Il contient un mélange de sensations et d'émotions qui brisent leurs croyances. Pour un instant, la panique a disparu. Les frissons naissent.

— Une humaine ! Une femme sur les eaux !crie un homme.

— Elle court...non, elle ricochète sur l'eau ! comment est-ce possible ?

Noé sourit face à la révélation évidente.

— Elle est venue me chercher.

Le majordome se met à paniquer en le voyant se hisser les deux pieds en équilibre sur le rebord.

— Sir ! Que faites-vous !?

— Je vais la rejoindre !

— Ne répondez pas comme si c'était l'évidence même !

Noé rit plein de légèreté. Il ne s'est jamais senti aussi léger et libre de toute sa vie. Lui qui avait une peur bleue de l'eau depuis tout petit, il ne craignait plus la noyade désormais.

Toutes les bêtes aquatiques dissimulées sous la surface ne ressemblaient plus à des monstres cauchemardesques mais à des amis sacrés.

— Comment ai-je pu passer à côté ?se demande-t-il.

— On évite les tempêtes en général, lui répond son majordome qui peine à s'accrocher. Prenez ma main, je vous en prie ! Vous me donnez le vertige !!

Sa voix en devenait hystérique. Tous les matelots se tenaient sur son rebord et les écoutaient, les yeux ronds.

— Cette tempête est merveilleuse !

— Vous avez perdu la tête ?!

À deux vagues de là, la voilà à se montrer en spectacle. Dansant sur un pied, elle écarte les bras et tourne sur elle-même sous la pluie qui ruisselle sur elle.

Une énorme vague soulève le bateau au-dessus de toutes les autres.

C'est le signal.

Elle court dans sa direction. Déterminée plus que jamais.

Le cœur palpitant, Noé se détourne alors qu'ils poussent des cris de frayeur tout en regardant en contrebas.

Il descend et court jusqu'à l'autre bout du bateau.

En faisant volte-face, il prend son élan et se met à courir dans le sens inverse. Toutes les têtes se tournent vers lui et le suivent des yeux alors qu'il remonte le bateau, bondit sur le rebord et saute dans le vide.

— Seigneur !

Elle l'intercepte au moment où ses cheveux allaient toucher l'eau. Leur baiser de retrouvailles lui fait fermer les yeux. Il s'abandonne de tout son être et tombe dans la mer. Il se sent coulé jusqu'à ce que son corps touche le fond sablonneux.

Il ouvre les yeux pour voir son visage encadré de sa chevelure flottante.

— Je t'ai eu !lui dit-elle et des bulles s'échappent de ses lèvres souriantes.

Baissant les yeux, il remarque qu'ils se tiennent tous les deux debout comme s'ils se trouvaient sur la terre ferme. Il plaque ses deux mains à sa bouche pour contenir sa respiration mais elle lui écarte fermement les poignets.

— Tant que tu es avec moi, tu es libre de respirer n'importe quel air.

Par accident, il inspire et ouvre la bouche pour expirer.

— Incroyable !

Puis il se souvient de ses camarades sur le bateau et lève la tête avec inquiétude. Elle anticipe sa réaction car elle s'empresse de le rassurer.

— C'est moi la tempête. Je protège Le Chevalier.

Il la regarde de la tête aux pieds en s'émerveillant.

— Tu as des jambes !

— Oui ! Ce sont tes pensées pour moi qui les font marcher et c'est ton cœur fort qui les font courir !

— C'est vrai ?

— Tant que tu m'aimes, je reste mi-sirène mi-humaine.

Noé sourit mal assuré et résigné. Il soupire :

— Alors tu sais déjà que je t'aime.

En se mordant la lèvre inférieure, elle confirme d'un regard langoureux et irrésistible.

Elle ôte sa robe et la balance derrière son épaule. Le vêtement vert se déploie et se soulève au-dessus de leurs têtes, bientôt rejoint par des collants blancs qui ondulent comme des musaraignes.

Sa longue chevelure rousse drape son corps nu et dissimule ses parties intimes.

Noé est muet, incapable de parler. Son cœur bat la chamade. Il est ébloui par sa beauté.

La mer est donc si belle, pensa-t-il.

Ses mains prennent son visage en étau et il l'embrasse. Ses cheveux enflammés viennent s'enrouler autour de leurs corps. Ardent, il l'attire plus étroitement contre lui.

Ses mains à elle sont plus lentes et plus douces sur sa peau. Elle se pelotonne entre ses bras comme si elle voulait se fondre en lui. Ses soupirs sont des mélodies qu'on entend dans les coquillages.

L'eau est devenu leur lit d'amour pour une nuit tempétueuse. Une tornade semble tourbillonner autour d'eux pour les emmener dans des contrées inconnues. L'écume s'écrase sur leurs peaux.

Ils se laissent transporter par le courant irrésistible et invisible tout en se dévouant corps et âme à l'un l'autre.

La mer est un monde secret et inconnu comme un mythe dont l'origine a été perdu mais dont l'histoire merveilleuse a survécu.

🧜🏻‍♀️

échantillonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant