CHAPITRE 27

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KENZO

J'ai toujours du mal à y croire. Ma mère n'est pas du style à accepter ce genre de proposition, d'habitude... Elle devait se sentir vraiment démunie pour avoir dit oui. Je me sens coupable, vis-à-vis d'elle. Je passe le plus clair de mon temps auprès de Nina ou de mes amis, alors que ma mère est probablement la personne qui a le plus besoin de mon soutien. Les épreuves du passé ont eu beau l'endurcir, elle reste ma maman. Elle ne peut pas se battre seule, et comme le connard que je suis, je l'ai complètement abandonné ces dernières semaines. Elle ne m'en a pas tenu rigueur, mais notre présence ici confirme ce délaissement involontaire.

La sonnette retentit sous le porche et me tire de mes songes. Je jette un dernier coup d'œil à la femme qui se tient à mon bras. La vie a creusé son visage. Les petites ridules courent par dizaine sous son regard doux. Elle a coiffé ses cheveux sombres dans un chignon haut qui dégage son cou, où se trouve un collier de perles scintillantes. Habillée sobrement d'un pantalon tailleur de couleur lavande et d'une chemise blanche, elle représente l'élégance dans toute sa splendeur. Elle semble heureuse d'être là. Et si elle est heureuse, alors je peux me permettre un moment de répit.

Je tourne la tête vers la porte d'entrée en entendant la clé tourner dans la serrure. Bordel de merde. Comment ai-je pu me retrouver chez Newman le jour de Thanksgiving ? C'est le dernier endroit sur terre où je m'attendais à passer ma soirée.

L'unique barrière qui me sépare de la famille de Blondie cède, et laisse place à Lenka, la mère la mini-slovaque. Elle nous offre un sourire lumineux et ouvre ses bras pour accueillir ma mère.

— Dorothy ! Je suis contente que tu sois là ! Quel plaisir de vous avoir tous les deux à la maison, lance-t-elle en me souriant.

Depuis quand sont-elles devenues meilleures amies ? Je suppose que toutes ces heures passées à l'hôpital ont permis à ma mère d'y faire certaines connaissances...

J'adresse un signe de tête en guise de salut et ferme la porte derrière moi. Le père m'offre une vigoureuse poignée de main, tout en me fixant d'un drôle d'air.

— Je rêve ou tu as grandi, depuis que l'on s'est vu...

Je réprime un ricanement devant son apparence faussement boudeuse. Sa fille a le même air lorsque je la provoque... Les mêmes lèvres pincées et le même nez froncé.

— C'est sûrement le basket, je réponds avec sarcasme.

— Mouais... Ne cherche pas à me dépasser, tout de même.

Trop tard. Je fais déjà quelques centimètres de plus que lui, mais je n'ose pas le contredire.

Il rejoint sa femme, en pleine discussion avec ma mère. Les odeurs qui émanent de la cuisine sont alléchantes et font déjà gronder mon estomac. Finalement, ma mère a bien fait d'accepter leur invitation. Si ça n'avait pas été le cas, on aurait ouvert une conserve de petits poids et la soirée se serait terminée devant Footloose. De plus, ce repas me permettra de passer un peu plus de temps en compagnie de Blondie, ce qui est loin d'être pas désagréable. Très loin, même.

Ma mère tend une bouteille de vin aux Newman. En ce qui concerne leur fille, son cadeau est emballé dans un sachet qui n'a pas quitté ma poche depuis notre départ de la maison.

John m'interpelle et je fais volte-face pour l'écouter.

— Tu peux aller chercher Séfia ? On va passer à table.

Je me dépêche de grimper les marches. Il me tarde de connaître sa réaction lorsqu'elle me verra. Ou bien est-elle déjà au courant ? À l'étage, je traverse le couloir à grandes enjambées et m'arrête devant la porte de sa chambre, entrouverte. La musique est à fond. Je ne peux m'empêcher de sourire en entendant Heart of Glass, de Blondie.

Quelqu'un Pour ToiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant