La rencontre

189 7 9
                                    

2084.
La Terre se mourait, étouffée par la famine. Il n'y avait plus assez de ressources pour nourrir les habitants de notre pauvre planète bleue. On se battait pour chaque grain de riz, chaque goutte d'eau. Et certains, dans leur désespoir, étaient prêts à tout. Même à tuer pour une bouchée de pain.

J'escaladai un muret humide, manquant de m'effondrer sous mon propre poids. Le monde autour de moi semblait de plus en plus fragmenté, brisé. J'étais seul dans ces rues désertes où même les échos de mes pas semblaient déserter. La nuit, tout était plus calme, plus menaçant. Les familles se déchiraient, les hôpitaux étaient bondés, et la majorité des gens étaient trop faibles pour survivre dans cette ère de désolation.

Je trottinais à une allure nerveuse, mes pensées aussi vagues que la lumière du jour qui s'estompait. Puis, soudain, un bruit presque imperceptible me figea sur place. Un murmure dans l'air, comme un souffle.
Mes sens se tendirent, et je retins ma respiration. Le bruit reprit, cette fois plus distinctement.
Je plaçai une main sur mon ventre, honteux d'avoir eu peur d'un simple gargouillis. Je continuai, un peu plus vite maintenant, mes pas m'entraînant vers un vieil immeuble qui, autrefois, aurait dû être charmant. Mais tout était laissé à l'abandon. Les pierres étaient rongées par le temps, le toit était à moitié effondré. Cet endroit était devenu une ruine. Pourtant, je m'y accrochais, comme un animal affamé cherchant un abri.

J'atteignis un vieux balcon et, avec l'agilité de ceux qui avaient vécu dans la survie, je grimpai, espérant que les pierres ne cèdent pas sous mon poids. Une fois arrivé, je collai mon oreille à la porte, écoutant. Le silence. J'étais seul.

Je me baissai pour refaire mes lacets, mon bras heurta la poignée de la porte, qui s'ouvrit sans bruit. L'entrée était dégagée. Bien. Cela me facilitait la tâche. Je poussai la porte et pénétrai dans ce qui ressemblait à un salon. La lueur de la lune éclairait les murs délabrés, les fauteuils usés, et un tapis misérable roulé en boule dans un coin. La cuisine n'était pas loin, je pouvais presque sentir la promesse d'un peu de réconfort.

Mais avant que je n'atteigne la pièce suivante, une voix féminine, calme mais tranchante, me stoppa dans mes mouvements :
— « Tu es discret, toi. »

Je me retournai brusquement, le cœur battant. Là, dans l'encadrement de la porte du balcon, se tenait une jeune fille. Elle avait l'air de mon âge, ou peut-être plus jeune, avec une chevelure noire comme de l'encre qui descendait en cascade derrière son dos. Ses yeux, perçants et malicieux, étaient fixés sur moi, et un léger sourire en coin se dessinait sur ses lèvres. Elle portait une robe noire, à moitié déchirée, et surtout... elle était pieds nus.
Je restai là, sans savoir quoi dire.
Elle reprit, comme si de rien n'était :
— « Cela fait plusieurs minutes que je te vois rôder autour de ma maison. »

Je clignai des yeux. Elle habitait ici, dans cet endroit en ruines ? Qui voudrait vivre dans une maison comme ça ? Mon cerveau mit un moment à réaliser l'absurdité de la situation. C'était ma faute. Je m'étais introduit chez elle, tel un voleur affamé.

Elle avança d'un pas, s'arrêtant à quelques centimètres de moi. Son souffle chaud me frôla le cou. C'était déroutant, mais je n'arrivais pas à reculer.
— « Tu as faim, n'est-ce pas ? » me demanda-t-elle avec une étrange douceur.

Évidemment, j'avais faim. C'était pour ça que j'étais là. Mais je ne lui criai pas dessus, je m'efforçai de rester calme, malgré la frustration qui me rongeait. C'était moi qui étais entré ici, après tout. Elle me regarda de haut, un brin amusée, et ajouta :
— « Je te propose un marché, Eliott. Tu peux prendre ce que tu veux... en échange de quelque chose. »
Je fermai les yeux, me croyant pris dans un mauvais rêve. Elle connaissait mon nom.
— « Qu'est-ce que tu veux de moi ? » demandai-je, presque résigné.

Elle rit doucement, puis murmura :
— « Ne t'inquiète pas, je trouverai bien ce que je veux. »

Je sursautai. Comment savait-elle mon prénom ? J'essayai de cacher ma stupeur, mais c'était impossible.
— « Tu sais mon prénom... Mais comment ? »
Elle sourit, un sourire qui fit naître une sourde inquiétude en moi.
— « Tu n'as pas besoin de le savoir. »

Son assurance me déstabilisait. Comment cette fille pouvait-elle savoir autant de choses sur moi, alors que je n'en savais rien d'elle ? Pourtant, je cédai, pressé de finir cette rencontre qui m'inquiétait.
— « D'accord, c'est un marché, » dis-je, mal à l'aise.

Elle me fit signe d'aller à la cuisine. Je me dirigeai vers le frigo avec hâte, ne m'attendant pas à un grand festin, évidemment. Je trouvai une brique de lait, un peu de fromage, quelques grappes de raisin. J'emportai le fromage et m'installai sur le fauteuil en face d'elle, tentant de savourer ce qui pourrait être mon dernier repas. La mystérieuse fille se posa sur l'autre fauteuil, les yeux fixés sur moi. Le silence était pesant.
Je n'en pouvais plus.
— « Quel est ton nom ? » demandai-je, cherchant à briser ce froid.

Elle me regarda avec une lueur de colère dans les yeux, avant de répondre d'une voix glaciale :
— « Je ne vois pas pourquoi tu devrais le savoir. »

C'était trop. Pourquoi être aussi fermée et distante ? Je m'irritai.
— « Alors pourquoi tu veux connaître le mien ? » répliquai-je, le ton aiguisé.

Ses doigts se crispèrent autour du bras du fauteuil. Elle se leva brusquement et, dans un geste sec, releva sa manche, me montrant un symbole que je redoutais profondément : celui de Rebellatis.

Je restai figé, les yeux écarquillés. Rebellatis... le groupe de rebelles. L'autre clan. Celui qui se battait contre le régime que je subissais, un groupe mystérieux, pratiquement mythique. On disait qu'ils pratiquaient la sorcellerie. Je me demandais si c'était vrai. Cette fille, elle faisait partie de ce groupe. Elle était une ennemie. Un symbole du chaos, un danger.

Elle sembla comprendre immédiatement l'effet que son signe produisait sur moi. Les yeux pleins de colère, elle se pencha vers moi et murmura :
— « Je ne veux pas que tu révèles mon existence à ton clan. Ils seraient capables de me faire disparaître. »

Je pris une grande inspiration, mais avant que je puisse répondre, elle coupa court à mes pensées :
— « Tu vas aller me dénoncer, c'est ça... Au vu de ta tête, ton regard... c'est évident. »

Je n'en pouvais plus. C'était elle qui me jugeait, maintenant ?
— « Comment tu oses ? » lançai-je, le ton chargé de défi.

Elle sourit, un sourire étrange. Puis, se levant, elle me bloqua l'accès à la sortie.
— « Eliott, » dit-elle d'une voix plus douce. « Cette rencontre ne sera pas la dernière. Tu as fait une promesse que je n'oublierai pas. »

Je fus pris de rage. Je repoussai son bras et me précipitai vers la porte, mon cœur battant la chamade. Mais avant de quitter la pièce, j'entendis sa voix derrière moi :
— « Ah au fait, moi c'est Lyra. Je te retrouverai. »

Je sortis dans l'obscurité, la rage me brûlant la gorge, mais aussi une peur sourde. Cette rencontre... je n'en avais pas fini avec elle.

La Révolte Des Flammes Où les histoires vivent. Découvrez maintenant