- Prologue -

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J'ai vécu toute mon enfance sur la côte, à Busan, près de l'océan. Enfin, jusqu'au jour où mon père a décidé, un soir, de ne jamais rentrer à la maison. Ma mère a tenu deux jours entiers avant de m'annoncer la terrible nouvelle. Mon père ne nous avait pas abandonnés pour une autre femme, il avait péri dans un accident de voiture sur le pont Gwangan, écrasé contre la glissière à cause d'un conducteur de poids lourd trop fatigué pour s'arrêter.

Je n'avais pas pleuré, j'étais resté fort. Je m'étais enfermé dans ma chambre pendant deux semaines sans en sortir. Je mangeais à peine, ressassant dans mon esprit de gamin de 8 ans à quoi ressemblerait ma vie sans mon père.

J'avais longtemps imaginé mon futur, mais la mort venait chambouler tous mes plans, anéantissant les projets que j'avais élaborés dans ma tête. Mon père ne verrait jamais ma remise de diplôme, mon mariage ou encore la naissance de mes enfants. Au-delà de ces faits, qui n'étaient pour moi que des passages encore flous de mon avenir, je réalisais que les virées à moto étaient finies. Terminé de déguster une crème glacée au bord de la plage, terminé les marathons de Rocky le vendredi soir en grignotant des pop-corn, terminé de râler quand il me demandait de venir mettre la table. Fini les interminables leçons de maths qu'il s'évertuait à me donner. Tout cela prenait brutalement fin. Il fallait que je range ces souvenirs dans une boîte, que jamais plus je ne rouvrirai.

À l'enterrement, Jimin avait tout fait pour alléger ma souffrance. Âgé de deux ans de plus que moi, il m'avait serré contre lui durant toute la cérémonie. Il avait tenu ma main tremblante et m'avait accompagné jeter les fleurs blanches sur le cercueil. Il avait même versé des larmes à ma place. J'étais resté de marbre, stoïque, à contempler le cercueil disparaître dans ce trou de terre meuble.

Mon meilleur ami avait beau faire le gros dur, il n'en était pas moins le plus sensible de nous deux. Et c'est ainsi que, depuis ce jour-là, Jimin avait fait de moi, la nouvelle priorité de sa vie. Nous étions déjà très proches, mais cet incident nous avait réunis.

Haneul, la mère de Jimin, était la meilleure amie de ma mère depuis l'adolescence. Ainsi, Jimin et moi avons été élevés comme des frères. Si bien que, lorsque ma mère avait annoncé vouloir quitter Busan pour Séoul, Haneul et Hee-Jin nous avaient suivis. Ainsi, l'été avant mes 9 ans, j'emménageais à Mapo-Gu, en plein cœur de la capitale coréenne. Nos parents avaient choisi un quartier proche des établissements scolaires et des stations de métro.

L'immeuble ne comportait que cinq étages, certainement pas des plus luxueux. Ma mère, dorénavant veuve, devait subvenir à nos besoins uniquement grâce à ses revenus, ainsi que la maigre pension de mon père.

Les Park avaient accepté de loger dans l'appartement juste en face du nôtre, sur le même palier. Jimin était désormais mon meilleur ami et mon voisin. Je n'y voyais pas de mal, bien au contraire, mais j'avais ce besoin intrinsèque de m'isoler. Je refusais parfois sa compagnie. Jimin était très patient avec moi, mais plus le temps passait, plus il se demandait comment me venir en aide. J'ignorais comment lui faire comprendre que je n'avais pas besoin d'aide, j'étais simplement brisé. Et quand, par mégarde, un vase se brise, il est impossible d'en recoller les morceaux sans que cette fissure soit apparente. Le vase demeure fragile, et au moindre choc, il se fêle à nouveau. Ma vie était identique à un vase ébréché, les morceaux de mon existence refusaient de s'assembler correctement.

Quelques semaines après notre arrivée à Séoul, Jimin et moi avions rencontré Hoseok. Il venait de Gwanju, et avait une profonde passion pour la danse. Jimin, qui rêvait d'entrer dans une prestigieuse académie de danse contemporaine, s'était rapproché de lui de façon naturelle.

Ainsi, Hoseok avait pris une place importante dans notre duo, et je l'en remerciais. Jimin avait enfin trouvé quelqu'un de son âge qui ne passait pas ses journées à regarder dans le vide, et je pouvais souffler. Il prenait toujours autant soin de moi, mais le voir de nouveau sourire me ravissait. Il n'avait pas à endurer ma souffrance à ma place.

My Toxic MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant