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    Tout est calme quand on est sous l'eau. Pas de cris, pas d'agitation, pas d'odeurs qui agressent, pas de vent qui frissonne, pas de soleil qui brûle.
  Juste le calme. La sérénité. Une douce musique, des couleurs chatoyantes, l'eau qui caresse.

    Pourquoi ont-ils voulu aller à la surface, là où tout est laid ? Les histoires racontent qu'au contraire, ce sont nos ancêtre qui sont allés sous l'eau. On ne peut pas y croire : nous venons de la surface ? Quelles sornettes !

    Nous ne remontons qu'une fois tous les quatre ans, le jour Eclipse. Ce sont les Guides qui y vont, des voyageurs très sages qui ne reviennent que quelques fois par mois, pour les moins aventureux. Ils peuvent nager jusqu'à quarante kilomètres en seulement une journée !

    Le jour Eclipse, c'est demain. Pour l'occasion, le Guide Lobül revient après vingt-quatre ans de périple. On raconte qu'il a traversé l'océan tout entier et fait le tour du monde. Il est partit avant nos naissances, à nous, les Dauphins ; mais aujourd'hui on va pouvoir le rencontrer, enfin !

    Nous avons quitté la cité de bonne heure ce matin, avant que les Baleines ne se réveillent : elles nous en auraient empêchés, sinon. C'est pourquoi nous sommes tous là, les huit Dauphins les plus âgés, à l'attendre.
    Postés devant le cordon, je fixe l'entrée de la caverne. Nous n'avons pas le droit d'en sortir sans les Baleines ; nous nous perdrions dans le vaste océan.

- Jecrois que c'est lui !

    C'est Öul qui a parlé. Il est derrière moi et regarde par dessus mon épaule l'entrée, lui aussi. Il pointe de son doigt palmé le mouvement d'eau qui agite les algues vertes.

- Non,c'est juste un banc de poisson, répond Yaïl, déçu.

- Etsi on sortait de la caverne pour mieux voir ?

On se retourne vers Oamh, horrifiés.

- Nous ne pouvons pas ! s'exclame Yaïl.

- Nousn'avons pas le droit ! rajoute Ulo.

- Onest déjà là sans autorisation, qu'est-ce qu'on risque ?

On se regarde. Les yeux de Oamh scintillent. Il le sait : nous mourrons tous d'envie d'y aller.

    On finit par acquiescer d'un commun accord. On s'approche des algues et se poste à l'entrée de la grotte.

    La mer est belle ; tout brille. Il y a des millions de poissons, et Oamh dit qu'il y en a même des milliards. Je ne sais pas s'il a raison, mais il y en a beaucoup, ça c'est sûr. Un banc de minuscules poissons argentés, des arémis, passe devant nous. Sur le sable blanc, au sol, clopinent de petits crabes verts. Deux d'entre eux commencent à se battre, et les autres les encerclent. Nous nous allongeons par terre pour les observer.

- Regardez !Il y en a d'autres là-bas !

   Ulo suit quelques crabes qui, in-intéressés par le combat, s'éloignent en claudiquant. Nous les suivons à notre tour, jusqu'à leur antre où ils se cachent. Abi prend du sable dans sa main et le jette :il reste en suspension dans l'eau, avant de retomber lentement. Nous rions et l'imitons sans tarder.
    Oubliant notre but, nous jouons avec les algues. Soudain, je sens une pression : le courant chaud ! Nous l'utilisons pour nous réchauffer, en hiver, mais il est dangereux : comme il est puissant, nous pouvons facilement nous faire emporter. Il constitue d'ailleurs une des principales causes de l'interdiction que nous avons de sortir, mais aussi une des protections qui nous permettent de vivre à l'abri de certains animaux.

    Je relève la tête, effrayé. A peine ai-je frôlé le courant que j'en suis éjecté, et tourne sur moi-même. Quand je me redresse, je vois les autres Dauphins aussi secoués. Yaïl, resté en arrière, n'a pas été touché ; il crie, paniqué.

- Ulo !Ulo a été emporté !

Nous observons le courant, mais il est trop rapide ; nous savons que nous ne pourrons jamais le rattraper.

- LesRequins ! On doit les prévenir !

Choquéset bouleversés, nous nageons en vitesse vers l'entrée du cordon, dans la caverne.

Nouvelle - Jour EclipseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant