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    Aellai m'amène chez elle. Comme je suis trop encombrant elle ne peut pas me faire entrer, mais elle me montre la façade : le mur est blanc et haut, et la porte incrustée dedans est en bois. Aellai ouvre cette dernière et crie quelque chose : un humain plus grand qu'elle apparaît, les cheveux très courts et bruns et la démarche bien différente de celle d'Aellai – je dirais plus lâche, moins saccadée.

- Qu'est-ce 'tu veux ? Demande-t-il d'un ton agacé alors qu'Aellai appuie discrètement sur le talkie-walkie pour me faire profiter de la conversation.

- Hum...Tu saurais où est Maman ?

- J'crois qu'elle est au marché, pourquoi ? Tu m'as vraiment dérangé pour ça ?

- Eh oui ! Pour une fois que tu te bouges !

- J'te permets pas ! Je me suis déjà levé ce matin, alors...

- Je suis vraiment désolée de cet affront, très cher, si Môsieur s'est levé de son pieu...

- Je ne suis pas sûr de vouloir accepter vos excuses, Madame la pipelette ! Vos paroles ont touché mon petit cœur meurtri qui ne s'en remettra certainement pas de si tôt...

- Vous m'en voyez navré, cher ami. Bon bah ciao Loukas !

- Attend, qu'est-ce tu vas encore faire avec le sac du vieux ?

- Secret !

    Le sac repart, et je vois le dénommé Loukas retourner dans la maison. Je n'ai pas tout compris à la discussion...

- Qui était-ce ? Demande-je à voix basse en faisant bien soin d'appuyer sur le bon bouton de l'appareil.

- Mon frère. Quel relou ! Mais j'l'aime bien quand même.

- Ça veut dire quoi « frère » ?

- Attend tu sais pas ? Vous êtes tous enfants uniques ?

- Euh... non, on est plusieurs enfants - même un peu trop d'après les Baleines, même si je sais qu'elles disent ça pour rire.

- Les Baleines... Celles qui s'occupent de vous c'est ça ? Mais ce ne sont pas vos parents du coup ?

- Parents ?

  Je suis perdu par tous ces mots qui semblent logiques pour l'humaine.

- Ce sont ceux qui nous font naître. Tu sais, quand on a un bébé dans le ventre, eh bien c'est notre enfant, et donc les personnes qui donnent les gènes à l'enfant, ce sont les parents qui ensuite s'en occupent. Bon, sauf exceptions...

- Le rôle des Baleines est donc attribué aux géniteurs ? C'est étrange, ça veut dire que tout le monde s'occupe des enfants ?

- Tous ceux qui en ont, oui. C'est marrant, ça me paraît être la base de tout, et toi ça te paraît totalement illogique...

- Le rôle des Baleines est compliqué ! Il y a une formation au moins, ou quelque chose ?

- Malheureusement non, ce serait trop simple ! On se débrouille avec son gosse, et s'il est traumatisé à vie, tant pis. Je n'aurai jamais d'enfant, ça tu peux en être sûr...

- Votre culture est vraiment... atypique.

    Aellai rit ; je vois les passants marchant derrière nous la regarder bizarrement.

On arrive au port. L'humaine m'explique que c'est l'endroit d'où partent les bateaux, et je suis fier de pouvoir lui dire que je connais ces engins, remerciant intérieurement Triton.

  Près des quais où sont rangés les bateaux, il y a nombre de petits abris surplombant des étals où des humains semblent discuter entre eux. Aellai m'indique que nous sommes arrivés : est-ce donc à ça que ressemble un marché ?

Le sac est bringuebalé en tout sens. Je vois des gens tout autour de moi, une foule de jambes qui courent, marchent, s'agitent. Enfermé dans mon sac, je me sens bien plus en sécurité que si j'étais à l'extérieur.

Nous nous faufilons donc entre les gens, dirigés par l'humaine qui semble avoir l'habitude. D'une habile manœuvre qui me donne la nausée, Aellai retourne brutalement le sac et je me retrouve face à face à un énorme poisson me regardant avec ses yeux vides. D'instinct, j'ai un mouvement de recul, et sens le sac tomber à la renverse. Je suis sûrement rattrapé de justesse par Aellai, qui incline le sac pour me permettre de voir plus haut.

Devant moi se trouve une femme en contre-plongée qui discute avec un autre humain derrière le comptoir. Il lui tend un sac transparent par lequel on peut voir un autre poisson au regard globuleux, et elle lui donne en échange des petits ronds plats scintillants. Elle se tourne ensuite vers moi et regarde au-dessus du sac, sûrement vers la jeune fille le tenant, et dit quelque chose que je ne comprends pas avec son accent.

- Je voulais te demander... de m'acheter un collier de chez Akeldama. Tu sais, ceux en coquillages ! Répond Aellai à la dame.

- Mais tu en as déjà plein !

- Oui, mais ils sont si beaux... En plus, j'en ai pas taaant que ça... Enfin...

- Tu exagères !

- S'il-te-plaiiiiiiiit ! Akeldama n'est pas souvent là, il faut en profiter !

- Alors ça compte comme cadeau d'anniversaire, d'accord ?

- Hum... Ok.

    La femme soupire, et suit Aellai qui vient de repartir de façon toujours aussi peu délicate. Nous arrivons devant un autre stand, où sont exposés des pendentifs en coquillages.

- Bonjour, Aellai, dit une voix que j'imagine appartenir à une personne âgée.

- Bonjour Akeldama !

- Comment vas-tu, ma petite ? Que fais-tu avec ce gros sac ? demande la dame effectivement âgée qui vient d'apparaître derrière l'étal.

- J'espionne, répond malicieusement Aellai en regardant autour d'elle avec une suspicion surjouée.

- Alors ? Quelles sont les informations découvertes sur Monsieur X ? chuchote la vieille femme en entrant dans son jeu.

- De sombres secrets, Akeldama, très sombres... Il me faut une amulette pour me protéger !

- J'ai sûrement ce qu'il te faut, mon enfant...

   Aellai redresse le sac, me permettant d'observer les bijoux.

- Agent queue de Dauphin, quelle est l'amulette la plus appropriée à notre mission ? Demande-t-elle d'un ton exagéré faisant pouffer la marchande, me jetant un clin d'œil par les trous du sac.

- Tu veux que j'en choisisse un ? Je demande pour confirmer.

- Évidement !

- Oh, d'accord...

J'observe les bijoux. L'un d'eux me saute aux yeux : il est composé d'une fine chaîne argentée sertie d'un coquillage blanc translucide, barré d'une ouverture dentelée. Aellai continue son jeu en l'indiquant suite à ma réponse, et nous repartons l'objet en poche, satisfaits malgré les soupirs désespérés de la dénommée Maman qui vient de tendre à nouveau ses petits objets brillants à la vieille dame.

 Aellai lui dit quelque chose que je n'entends pas, puis me tire – au sens propre – vers un dernier étal vendant ce que j'identifie comme de la nourriture. Elle achète deux sortes de boudins bruns fourrés puis me ramène à la plage, où je peux sortir de mon abri. Heureusement, on est seuls : d'après l'humaine, c'est un bout de sable où personne ne vient jamais.

Nouvelle - Jour EclipseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant