4] Talia

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Je me dirige vers la porte d'entrée.

- Tu sors ? me demande ma grande sœur, une expression inquiète plaquée que son joli visage.

Je la regarde, le visage froid. Je n'ai plus envie de faire d'effort pour étirer ma bouche en un sourire, cette expression si illusoire.

- Oui.

- Tu vas encore brûler tes peintures sur la place ?

J'ouvre la porte, consciente qu'ignorer ma sœur lui fait du mal, mais je ne me contrôle plus. J'ai besoin de le faire. J'en ai besoin pour vivre. Enfin, pour survivre plutôt.

- Promets moi que tu ne tenteras rien de dangereux.

- Pff. Oui.

- Promets.

Je soupire.

Je sors rapidement, un sac posé sur mon épaule dénudée.

- Il fait froid dehors, Talia. Vas mettre un pull.

Je me retourne soudainement vers ma mère tandis que celle-ci continue d'une voix hypocrite.

- Tu comptes retourner au lycée un jour ?

Ma sœur s'interpose entre ma mère et moi.

- Maman s'il te plaît.

- Lucie pousse toi de là. Ça ne te regarde pas.

Tandis qu'elles continuent de se disputer, je m'éloigne sans aucun remords.

Je marche doucement dans la rue. J'ai mon temps.

- Eh Talia !

Je ne me retourne pas et je continue d'avancer. Je sais très bien qui c'est, et je sais également que Paul me rattrapera rapidement.

- Coucou ! s'exclame t-il en arrivant à côté de moi, essoufflé.

Je ne réponds pas et continue ma route.

- Avoue que je t'ai manqué !

- Pas le moins du monde.

- Mouais mouais... lance t-il les yeux pétillants de malice.

J'accélère mon allure.

- Eh ! Tu veux pas ralentir ? Je suis un vieux moi.

Je ralentis, mais garde une bonne allure tout de même.

- Merci ! Ça va ?

Je hausse les épaules. La réponse est évidente.

- Désolé. C'était con comme question.

J'arrive sur la place.

À cette heure, elle est vide.

Je pose mon papier sombre et sors mon briquet.

J'aperçois du coin de l'œil Paul les mains dans les poches, me regardant mais n'intervenant pas.

Heureusement.

La flamme sors, luisante, et je la dirige vers la feuille.

Ce tableau horrible commence à prendre feu, et je m'installe à côté de mon compagnon, les mains au chaud dans les poches de mon pantalon.

Tandis que la feuille de consume lentement, ni lui ni moi échangeons un mot.

Une fois que ce noir ne fût que cendres, je me dirige vers celles-ci avant de les mettre dans une poubelle.

Elles s'envolent à moitié, mais tant pis.

Je me tourne, une fois m'être débarrassée des restes, et Paul me rejoins en une petite foulée.

- Ça t'a fait du bien ?

- Oui.

Je continue d'avancer.

- Tu as eu une enfance difficile ? me demande t-il.

- Non.

- Moi si.

Je me tourne vers lui.

- Ma mère abusé de moi avant de partir.

Mes yeux s'écarquillent. Je ne m'y attendais pas.

Il continue, les yeux fixés vers ses pieds.

- Ça s'est passé vers mes 7 ans. Elle est venue et m'a forcé à la doigter. Je ne comprenais pas à l'époque. Ce n'est pas ça qui m'a fait du mal.

- Mais... Pourquoi elle a fait ça ?

Il se tourne vers moi.

Notre échange de regard semble durer une éternité.

- Mon père n'étais jamais à la maison. Il trompait probablement ma mère. Elle aurait pu le tromper à son tour, mais... Mais je ne sais pas. Je ne sais pas comment elle a pu me faire ça. Maintenant que j'y repense, je me rends compte que c'était grave.

Mes yeux s'abaissent vers mes pieds.

- Le soir même, elle est partie. Comme ça. Je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles. Mon père est rentré deux jours après. J'ai été seul deux jours. Deux jours où j'ai compris que je ne reverrais plus ma mère.

- ...Et ton père ?

- Mon père a crié. Longtemps. Mais je ne m'en souviens que très vaguement. Après ça, il rentrait chaque soir, devoir parental. Mais il ne s'occupait pas de moi pour autant.

Un long moment de silence passe.

- Je n'ai parlé à personne de ce que ma mère m'a fait. Mais je suis devenu un garçon fragile, et source de moqueries. Dès la primaire, je subissais du harcèlement. Au collège ça a continué. Vers ma troisième, je subissais même du harcèlement sexuel. C'en était trop, et j'ai pris la décision d'en parler. J'ai changé de collège. J'ai eu des nouveaux amis, et ils m'ont aidés à me reconstruire. Et je suis devenu plus heureux. Malgré les séquelles qui resterons à jamais dans mon corps.

J'ancre mes yeux aux siens.

Ses pupilles d'un bleu profond m'assurent qu'il est honnête.

Sans réfléchir je lui prends maladroitement la main.

Il me regarde, étonné, puis serre la mienne en retour.

Son contact ne me fait plus frissonner, mais quand je me rends compte de mon geste, j'extirpe rapidement ma main.

Nous continuons d'avancer, avec un silence pesant.

- Tu sais Talia, je ne te veux aucun mal.

Je le sais bien. Je le vois dans ses yeux, je l'entends dans sa voix.

Je ne réponds pourtant rien.

- Je me reconnais juste en toi, et je veux t'aider... Comme mes amis l'ont fait pour moi. 

Noir [[TERMINÉE]]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant