Chapitre 1

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Merde.

Nathanael fixa, d'un regard exaspéré, sa tasse de thé dont le contenu se déversait sur son devoir, la peinture d'une vieille dame qui lui avait demandé presque sept jours. Partagé entre le désir de projeter ce satané récipent contre le mur et celui de nettoyer au plus vite la mare attaquant petit à petit ses autres affaires, le jeune homme ne remarqua pas la seconde catastrophe. Quand le liquide atteignit le bout de la table, s'accumulant contre le rebord avant d'en tomber et de déposer une tâche sur les chaussures en toile blanche du jeune homme, ce dernier jura.

Quelle merveilleuse journée.

Nathanael soupira, attrapa le premier morceau d'essuie-tout qui lui tomba sous la main et arrangea la situation du mieux qu'il pouvait, c'est-à-dire pas assez pour sauver son œuvre d'art. Après avoir ruiné le quart de la peinture, Nathanael accepta enfin la réalité, agrippa son sac et, après avoir mis la toile sous son bras, quitta son appartement, priant pour que le bus ne parte pas sans lui.

Grâce à sa chance légendaire, Nathanael le manqua de quinze secondes. Au moins, cela lui laissait le temps de se détendre un peu, ce qu'il fit sans rechigner. Sortant un petit carnet de son sac, il profita des quelques minutes d'attente avant l'arrivée du prochain bus pour reproduire au crayon le petit écureuil. Posé à quelques mètres de lui, ce dernier observait son environnement de ses yeux presque cachés par ses joues gonflées de noisettes. Surpris par le klaxon d'une voiture trop pressée pour rester à l'arrêt plus d'un instant, l'écureuil sursauta puis s'enfuit en direction du buisson le plus proche. Dans sa fuite, le petit animal abandonna une noisette, emportée vers la route par le vent avant de se faire écraser par un camion croisant son chemin.

Nathanael n'aurait pas pu continuer de dessiner de toute façon, le bus qui venait d'arriver lui aurait caché le rongeur. S'assurant de ne rien avoir oublié sur le banc, le jeune homme s'installa sur un siège près de la vitre. A son plus grand désarroi, un inconnu qui, à en juger par sa peau légèrement fatiguée, devait être dans la quarantaine, s'autorisa à occuper la place à côté de la sienne.

« Quel dommage d'avoir ruiné une si belle toile. » Dit l'homme après quelques minutes d'un silence que Nathanael aurait souhaité pouvoir apprécier plus longtemps. Le quarantenaire, après s'être légèrement approché de Nathanael, pointa d'un doigt étrangement long l'énorme tache qui recouvrait presque entièrement un des yeux de la femme autrefois magnifiquement représentée. « Faire preuve de si peu d'attention face à un travail aussi soigné est un manque de professionnalisme. » Ajouta l'inconnu qui, selon Nathanael, donnait un peu trop son avis pour quelqu'un qui n'avait probablement jamais été intéressé par la peinture de sa vie.

« Vous ne pouvez pas comprendre l'art. » Rétorqua l'étudiant, trop fier pour admettre la justesse indéniable de cette personne. « Cela demande une certaine ouverture d'esprit, vous savez. » Ajouta-t-il tandis qu'il se leva puis s'éloigna de l'homme, marchant vers la porte du bus qui arrivait bientôt à destination.

Il avait beau être inscrit à l'université depuis trois ans, la beauté de son école ne cessait jamais de l'impressionner. La façade principale, entièrement construite à base de briques, imposait sa splendeur aux autres immeubles alentour. En son centre, un escalier, dont la largeur des marches s'affinait à mesure qu'elles se rapprochaient de l'entrée. A gauche comme à droite de la façade, l'école s'étalait sur plusieurs dizaines de mètres et les murs, troués en leurs centres par de gigantesques fenêtres, illuminaient les couloirs et les bureaux. Ainsi, les passants avaient l'occasion de voir les salles de classes à l'intérieur desquelles des étudiants de tous âges et nationalités travaillaient, exprimant sur une toile, un ordinateur ou un appareil photo leur génie artistique.

La couleur des regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant