Chapitre 11

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Si Nathanael avait quelques connaissances à propos du fonctionnement de la drogue qu'il avait consommé, il n'avait pas la moindre idée de la durée d'attente avant de percevoir les premiers effets.

Près d'une vingtaine de minutes s'étaient écoulées depuis l'instant où il avait consommé ce fameux buvard, mais seuls quelques stimuli semblaient étranges, et encore, très légèrement. L'odeur de peinture, dont il était auparavant habitué, semblait embaumer l'entièreté de la pièce, venant presque jusqu'à écœurer l'artiste de sa matière favorite. Quant aux couleurs, elles avaient l'air un peu plus vives qu'avant, même si le jeune homme avait du mal à le percevoir, ne se rappelant plus si le vert des arbres qu'il avait reproduit n'était pas déjà si lumineux à l'origine.

Peut-être devait-il attendre un peu.

Bien décidé à rester patient, quitte à attendre encore une heure, Nathanael s'assit sur le rebord de son lit, faisant ainsi face à son bureau. Il en était maintenant sûr, les couleurs étaient plus voyantes qu'en temps normal. Cela ne le dérangeait pas. Bien au contraire, ses toiles paraissaient bien plus vivantes de cette manière. Dans un coin de sa tête, le jeune homme se nota d'essayer de tenter de peindre quelque chose avec des couleurs naturellement plus éclatantes.

Ce qui attira ensuite l'attention de l'artiste, ce fut ce pinceau. Un beau pinceau, magnifique même, et dont les inscriptions figurant sur le manche semblaient composées d'or pur. Nathanael remarqua néanmoins le liquide coloré sur les poils de l'outil, ce qui le chiffonna. Si le pinceau était plongé dans la peinture depuis au moins une heure, alors celle-ci devait déjà être sèche, ce qui rendrait le nettoyage un peu plus compliqué. Nathanael aurait à le plonger dans de l'alcool pendant quelques temps, abimant peut-être par la même occasion ces fameuses gravures dorées...

Où avait-il acheté ce pinceau ? Avait-il même déjà eu un pinceau ainsi ? Maintenant qu'il y pensait, le jeune homme n'avait aucun souvenir de la présence de cet outil ici, ce qui l'étonnait étant donné qu'il les achetait tous au même endroit et se souvenait de chacun d'entre eux.

Commençant à délicatement remuer, le pinceau interrompit les pensées du garçon, qui se concentrait dorénavant sur le mouvement, apparemment fascinant, du petit objet de bois. Roulant si doucement qu'il paraissait à peine se déplacer, le pinceau déposait quelques tâches de peinture sur le bureau. Comme quoi la peinture n'était pas sèche. Peut-être allait-il pouvoir le sauver.

Au début proche du mur derrière le bureau, le pinceau avançait, passant ainsi à côté d'une trousse, puis d'une vieille gomme abandonnée, d'une règle, d'un bloc note, d'un mouchoir. Inexorablement, le pinceau se rapprochait du bord de la table, et Nathanael savait qu'à cette allure, il finirait bien par en tomber. Mais, sans savoir pourquoi, il ne bougea pas d'un pouce. Peut-être appréciait-il le doux son que provoquait le roulement du bâtonnet de bois contre une surface de la même matière, où peut-être avait-il juste l'impression de ne pas avoir le droit d'interférer dans le cheminement du pinceau.

Une vingtaine de centimètres, puis une dizaine, puis cinq. Quatre centimètres. Trois, deux un. Comme prit par un élan d'énergie, le pinceau accélérait au fur et à mesure qu'il se rapprochait du bord de la table, transformant le son de roulement en un tambourinement s'imposant aux oreilles de Nathanael.

Le pinceau ne bougeait plus. Plus rien ne le séparait du vide, si ce n'était la table elle-même. Le silence avait repris ses aises dans le studio, et la peinture toujours présente sur les poils continuait de s'écouler, provoquant une petite flaque grandissant au fur et à mesure des secondes. Sans même le réaliser, Nathanael avait arrêté de respirer. Plus aucun de ses muscles ne se mouvait, pas même ses doigts, ni même ses lèvres, et encore moins ses paupières. Le temps s'était comme arrêté dans toute la pièce. Plus aucun son ni aucun mouvement ne se permettait de déranger la paix instaurée par l'immobilité du pinceau qui, lui aussi, semblait retenir son souffle avant de procéder à son dernier élan.

La couleur des regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant