Chapitre 6: Saule

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Mardi 24 novembre:

La sonnerie annonçant l'interclasse du cours retenti dans les cours, stridente. Elle me réveille. Je ne sais pas depuis quand je suis endormie, je n'en ai aucun souvenir. Je devrais y aller. Me lever, passer aux toilettes me rincer le visage et me recoiffer à la va-vite, puis rentrer dans la salle de mathématiques puant la transpiration de Monsieur Gilvière (transpiration des élèves ou du professeur, je ne saurais répondre), y passer l'heure qui suit et parler d'équations du second degrés des fonctions ou de je ne sais trop quoi d'autre. Mais là, tout de suite, je ne veux pas. Je ne peux pas. J'ai besoin de me libérer l'esprit, de m'évader et de me sentir libre. En sécurité. Je ne veux pas rester sagement assise sur une chaise de cours en bois qui nous broient les fesses à écouter notre professeur de mathématiques, feignant d'être intéressée et faire comme s'il ne s'était rien passer; qu'il n'a pas débarqué. Jayson.

Je décide de m'en aller, c'est plus simple. Je fuis. C'est lâche mais c'est comme ça. Je reviendrai dans deux heures, avant manger, pour ne pas abandonner Alison et la laisser toute seule. J'attrape mon sac, je fouille à l'intérieur pour y prendre mon téléphone et mes écouteurs, puis je laisse mon sac ici. Je le cache derrière le lit, il ne me sera d'aucune utilité et personne ne viendra me le voler. J'ouvre la porte avant de sortir de l'infirmerie, laissant tout ce bleu derrière moi. Je traverse les couloirs du lycée, croise des élèves qui courent en direction de leur salle de classe ayant peur d'arriver en retard. Mes yeux restent bloqués sur l'objectif, sur la grande porte du lycée. Et c'est tout naturellement que je la dépasse. J'allume mon téléphone et sélectionne "Hot Stuff" de Donna Summer avant de me mettre à courir. J'ai de la chance d'être en tenue de sport. Je dépasse le lycée, la pharmacie et la boulangerie. J'accélère encore. Les musiques défilent, le vent me fouette le visage, mes cheveux se collent à ma peau, mes baskets survolent la route. Mon cerveau recommence à réfléchir donc je continue d'accélérer ma cadence. La soirée où tout à tourner au désastre resurgit telle qu'Alison me la décrite. Jayson entrain de baiser Alison , euphorique d'obtenir enfin son attention. Alison qui se réveille. Jayson s'est barré. Il frappe un homme. Jusqu'à la mort si les policiers ne l'avaient pas arrêté. Je ne sens plus mon corps mais je décide d'accélérer à nouveau pour tracer les souvenirs qui affluent en moi. Mon souffle se fait cours, je suis fatiguée et sans m'en rendre compte, je suis dans le parc à côté de chez moi. Je ne sais pas combien de kilomètres j'ai parcouru ni le temps que j'ai pris mais je me sens beaucoup mieux. Mes pas me guident vers l'étang, le dépasse et m'entraînent sous le saule-pleureur. Ce saule-pleureur a toujours été mon arbre favori. J'ai toujours eu l'impression que c'est le sage entre tous ces arbres, celui qui avec ses longues branches pourra nous protéger. Le grand schtroumpf qui doit veiller sur les autres. Plus jeune, c'est sous ses branches que je venais jouer, pleurer, rire et lire. C'était mon repère. Il me consolait quand ça n'allait pas et il me comprenait. Papa y avait installé une petite balançoire en bois. Elle y est encore, je m'y asseye et je laisse Saule me bercer de ses branches. C'est la première fois que je reviens ici depuis des années. Depuis l'accident en fait. Accident que j'avais tenté d'effacer de ma mémoire mais qui fini toujours par revenir. Je me pose à terre et tourne la balançoire. L'inscription gravée à l'arrière au couteau y est encore. A+J. Sans m'en être aperçue, des larmes roulent de plus en plus fort et de plus en plus vite sur mes joues rouges d'avoir autant couru. Alexina+Jayson. Je me laisse tomber au tronc de Saule tandis que les souvenirs affluent, sortant du tiroir de ma tête dans lequel je les avais soigneusement rangés. Je n'essaie même plus de les empêcher, de prendre contrôle de mon cerveau, je n'en ai plus la force. Les larmes redoublent d'intensité quand la scène se remet à jouer dans ma tête.

Lors de mes cinq ans, nous avons déménagé (toujours dans Paris) dans une nouvelle maison que nous avons vendue depuis. J'avais donc cinq ans et je rentrais en grande-section. J'étais une petite fille souriante et timide, avec deux nattes autour de mon petit visage rond, parsemé de petites tâches de rousseur. Tout commença un matin d'automne, le 1er septembre plus exactement. Ma mère m'avait habillé d'une paire de collants noirs car la brise d'automne commençait à se faire sentir, d'une salopette vert kaki et de mes ballerines noires préférées. J'avais hâte d'aller à l'école, d'intégrer ma classe et de me faire des amis. (Je ne m'en faisait pas facilement car j'étais envahie d'une extrême timidité.) L'école était très jolie, très simple. Un toit rouge présidait les murs beiges qui avaient étaient peint il y a quelques années par d'anciens élèves, la cour de récréation était très grande, d'un côté un terrain de football (accaparé par les garçons), et de l'autre un grand espace vert où se retrouvaient les filles qui jouaient à la corde à sauter ainsi que les autres garçons qui n'étaient pas fan de football. Je suis arrivée à l'école toute souriante et la maîtresse m'a très bien accueillie, même après que j'ai eu le temps de dire ma première bêtise... dès ma première phrase. Voilà ce qu'il s'est passé:

Des étoiles dans les yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant