Chapitre 24 : Obsession

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De quel droit ce petit démon de basse naissance se donnait t-il le droit de réagir de la sorte ?

Nox avait toujours eu cette propension à dramatiser et faire comme s'il connaissait tout de l'espèce humaine, pour la misérable raison qu'il en avait fait parti lui même. Comme si tous les anges étaient les mêmes ou tous les démons forgés sur le même modèle. Il n'en savait dans le fond pas plus que lui.

Ça avait toujours eu le don d'agacer Lux et il le lui faisait généralement remarquer avec une petite pique bien sentie. Et, en effet, habituellement, il ne se laissait pas submerger par les émotions. Pas au point de perdre le contrôle sur ses capacités célestes. 

De retour au sommet d'une des plus hautes tours de Sintra , surplombant la vallée plongée dans la nuit, il tentait de contrôler les tics nerveux qui parcouraient ses doigts comme des milliers de petites aiguilles. La scène repassait en tête dans son esprit, et, à mesure qu'il commençait à se calmer, il sentit confusément une sorte de culpabilité l'étreindre. Le regard effrayé du démon quand il l'avait acculé, écrasant sans pitié ses pathétiques défenses le hantait. Mais il était dans son droit, non ? 

Nox allait le comprendre. 

C'était pour cela qu'il l'avait laissé réfléchir à son attitude.

Un autre sentiment fit son apparition dans son cerveau tourmenté et l'ange dut s'accroupir pour ne pas vaciller. Il ne voulait pas laisser Octave à Nox. Parce que, depuis le début, depuis cette nuit où ils avaient échangé le premier regard, Lux le voulait. L'humain était à lui. Il en ferait un ange, un ange magnifique qui l'accompagnerait dans ses longues années d'éternités. La seule chose qui l'en empêchait était Nox. Et si celui ci disparaissait, et il le ferait, il aurait le champ libre.

Les malaises du pasteur étaient finalement une très bonne chose. S'il l'avait su, il l'aurait exploité dès le début. Et tant pis pour le démon. Il s'en remettrait. Après tout, il était jeune et magnifique, il n'aurait aucune difficulté à convertir n'importe quel péquenaud dont il finirait par s'enticher.

Il reviendrait ensuite vers lui et tout irait bien. Ils reprendraient leurs joutes habituelles.

Tout irait mieux.

Un léger bruit fit se retourner l'ange. Au bas de la Tour se tenait le chat qu'il avait déjà vu lors de sa rencontre avec Cassiopée, qui lui semblait déjà s'être passé une éternité avant. Avec un sourire, il se matérialisa en bas de la tour pour saluer l'animal. Mais contrairement à la première fois, celui-ci se figea, le scrutant avec méfiance, ses pupilles complètement dilatées. Vaguement agacé, Lux tendit la main vers lui dans une tentative de faire la paix avec le matou. Celui ci se contenta de lui feuler dessus avant de s'enfuir en courant, le poil hérissé. L'ange se redressa, perplexe. Il était rare que les animaux le fuit. Il avait pour eux une affection qu'il n'avait ni pour ses semblables, ni pour les autres espèces, Nox et Octave excepté. 

En pensant au pasteur, il se mit à sourire largement, son visage s'étirant de telle façon qu'il sentit le tiraillement tout sauf naturel de ses joues. Il avait envie de le voir.

***

Octave était assis dans son canapé, un ensemble de pyjama d'une simplicité affligeante sur le corps et un livre sur les genoux. En se penchant par dessus son épaule, Lux put voir qu'il s'agissait d'un roman fantastique pour adulte. Un soupir méprisant lui échappa. Encore une chose qu'il ne comprenait pas. Pourquoi ce besoin immature de se plonger dans ces contes modernes, pour oublier le quotidien ?

C'était bien que ce quotidien était d'une monotonie et d'un ennui à pleurer. Octave avait besoin de sortir de ce schéma. Oublier ses réflexes humains stupides et embrasser sa nouvelle nature, une nouvelle nature qui lui correspondrait bien mieux que ce petit corps qui, sans être mince ou faible, était loin d'égaler la puissance d'une créature surnaturelle.

L'humain interrompit tout à coup sa lecture, ses sens aux aguets. Il devait l'avoir senti, comme cette nuit où leurs regards s'étaient croisés. Lux se recula légèrement. Il ne faudrait pas qu'il se rende visible tout à coup dans cette maison. Ça serait difficilement justifiable. Il comptait bien garder le secret de sa nature encore quelques temps.

Heureusement, le téléphone portable du pasteur se mit à sonner à ce moment là. Après quelques instant à regarder l'écran en souriant, celui-ci décrocha.

-Allô ?

L'ange n'eut qu'à se concentrer un peu pour que son ouïe surdéveloppée perçoive les paroles de l'interlocuteur au bout du fil. Il fronça les sourcils, nerveux. C'était Nox.

-Octave ? Je ne vous dérange pas?

Son ton était légèrement vibrant, et l'on pouvait sentir que quelque chose n'allait pas. Lux haussa les épaules, attentif. Il espérait que Nox en profiterait pour annoncer son départ. Plus vite il s'éloignerait et plus vite il pourrait respirer un peu plus librement. Métaphoriquement parlant bien entendu.

-Non, j'étais en train de lire le livre que vous m'avez conseillé...J'aime beaucoup. Vous savez très bien cerner mes goût en matière de fiction, répondit le pasteur avec un petit sourire qui fit grincer des dents Lux.

-Oh... Oui c'est vrai. J'avais oublié. Écoutez, est-ce qu'on pourrait se voir demain après-midi ? Vous avez peut être du travail mais... J'aurais vraiment besoin de vous parler.

La fin de sa phrase sonnait vraiment misérable et l'ange vit sans surprise Octave se redresser, une ride d'inquiétude s'installant entre ses yeux.

-Je... je dois pouvoir me libérer. Est-ce que tout va bien ?Vous avez l'air bizarre...

-Tout va bien... Je serais à 14 heure au bord du lac Saint-Valentin. Si cela vous convient.

-J'y serais.

Et Nox raccrocha. Lux étudia le visage du pasteur qui continuait de regarder son écran avec son petit air perturbé qui donnait à l'ange l'envie de le secouer. Il pouvait presque voir les rouages de son esprit s'agiter, ce qui n'était pas bon signe. Mais si Nox était fidèle à lui-même, leur rendez-vous du lendemain mettrait fin à leurs entrevues, et il serait enfin le seul. Il pourrait consoler Octave sans difficulté et l'amener à lui. Voilà qui serait enfin juste.

Le pasteur poussa un long soupir et passa sa main dans ses cheveux. Il ne les avait pas coupé depuis un moment et la façon dont ils encadraient son visage lui allait à merveille. Il ferait un ange merveilleux se dit Lux en lui emboîtant le pas alors qu'il se rendait dans sa chambre.

Il n'avait plus épié le jeune homme comme ça depuis un moment. Mais ce soir il ressentait le besoin de se gorger de sa présence, de sa vision. Il ne pouvait plus nier ce que provoquait l'humain chez lui, pas alors qu'il venait de rejeter sans scrupule son meilleur ami pour lui.

Quand Octave se glissa dans ses draps et éteint la lumière, il se rapprocha du lit. En quelques minutes, le pasteur avait plongé dans un sommeil agité. Lux resta à ses côtés à le regarder, et, quand il fut sûr que l'autre homme avait définitivement glissé au pays des songes, il lui caressa la joue doucement, parcourant la chair si délicieusement humaine. 

Il grimaça. 

Il ne pensait pas avoir ce genre de pensée un jour. Après une petite hésitation, il laissa son regard glisser vers les lèvres entrouvertes du jeune homme et laissa échapper un juron. D'une couleur légèrement rosées, elles invitaient au pêché. L'ange sentit une chaleur jusqu'alors inconnue se réveiller dans son bas-ventre et il recula brusquement, sentant ses joues se colorer de couleurs qu'elles n'avaient jamais connues.

Il avait déjà eu des relations sexuelles. Plusieurs même. Mais le désir qu'il ressentait en ce moment précis, en regardant le pasteur allongé, sa respiration irrégulière et le haut de son pyjama laissant voir la naissance de ses clavicules, n'avait aucune commune mesure avec ce qu'il avait déjà expérimenté.

Il sentit ses jambes vaciller son souffle se couper alors qu'il quittait la chambre rapidement. Le feu qui coulait à présent dans ses entrailles faisaient luire ses yeux d'un éclat d'or tel que même les anciens Archanges auraient trouvé étrange.

L'air frais lui permit de redescendre de ce nuage de sensations et, alors qu'il regardait le quart de lune éclairer l'église, il éclata de rire.

-Si tu me voyais comme ça le Vieux, tu te foutrais bien de ma gueule, murmura t-il en essuyant une larme au coin de son œil.

Un soupçon d'Éternité [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant