Chapitre 7 : Un début de relation houleux

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La jeune fille se laissa emporter à travers les petites ruelles, zigzaguant entre les poubelles et les habitants furieux qu'ils bousculaient parfois. Trop groggy par le coup qu'elle avait reçu, elle n'avait pas protesté tout de suite. Mais, alors qu'ils s'arrêtaient à l'angle d'une ruelle, elle reprit ses esprits et fronça les sourcils.

« Mais enfin, lâche moi ! »

Elle retira vivement sa main, mais le garçon qui l'avait entraînée de force la plaquait contre le mur, la main sur la bouche. La jeune fille bouillonnait. Deux agressions en moins de dix minutes, c'était  trop ! Elle le mordit.

Le garçon retira vivement sa main, et chuchota :

« Aïe ! Mais ça ne va pas la tête ? Tu es folle ou quoi ?! »

L'adolescente répondit sur le même ton, même si elle ne savait pas pourquoi il parlait si bas.

« C'est toi qui es fou ! Qu'est-ce que tu me veux ? Je te préviens, j'ai assommé le gros type tout à l'heure, ce n'est pas un maigrichon comme toi qui va me faire peur ! »

Kholm fronça les sourcils, mais la jeune fille ne broncha pas. Les yeux bleus et gris affrontèrent les yeux violets. Puis, tout doucement, Kholm recula d'un pas et leva lentement les mains, montrant qu'il ne lui voulait pas de mal. La jeune fille respira à nouveau normalement. Puis le jeune homme lui demanda:

« Comment t'appelles-tu ?

- Qu'est-ce que ça peut te faire ?

-Je viens de te sauver la vie, la moindre des choses serait de me donner ton nom.

-Quand on est poli, on se présente d'abord, Monsieur J'enlève-les-gens-qui-ne-lui-ont-rien-demandé. »

Le jeune homme soupira, mais devant l'air suspicieux de la jeune ahurienne, il céda.

« Je m'appelle Kholm. Kholm Tearman.

-Violette. »

Elle avait répondu de mauvaise grâce, mais s'était bien gardée de donner son nom de famille. Elle ne lui faisait absolument pas confiance, et qu'il l'ait aidé ou pas ne changeait rien. Elle le lui fit clairement comprendre.

« Et je te signale que j'aurais pu me débrouiller toute seule, je n'avais pas besoin de toi.

- Oh, mais bien sûr ! Je suis certain que tu aurais réussi à te débarrasser de ces types avec une lame plantée dans le dos. Bon tu aurais peut-être perdu deux, trois litres de sang, mais quand même, tu aurais pu t'en sortir toute seule ! »

Violette ne répondit pas et croisa les bras, vexée. Kholm souffla par le nez et ébouriffa encore plus ses cheveux en épis. Dans les histoires que lui racontaient les doyennes quand il était petit, la demoiselle en détresse finissait toujours par se jeter dans les bras de son sauveur. Pourquoi la réalité était si différentes des contes ? Il reprit sur un ton plus calme, désignant la rue qu'ils venaient de quitter :

« Écoute, Violette, vous avez fait un sacré grabuge, avec ces deux imbéciles. La police allait débarquer, et tous vous arrêter. Que ce soit de la légitime défense ou pas, ils n'aiment pas trop qu'on se batte dans leur ville, surtout dans les quartiers bourgeois. Et je suis certains que les deux abrutis que tu as assommé se seraient fait un plaisir de remettre toute la faute sur toi. Et comme ils ont une école prestigieuse derrière eux pour étouffer l'affaire, les policiers les auraient écoutés et tu te serais retrouvée en prison.

-Eh ! Mais je n'étais pas la seule à me battre ! Toi aussi, tu t'es battu, tu as même assommé le blond !

-Ah ! Donc tu reconnais que je me suis bien battu et que je t'ai aidé !

-Quoi ? Mais pas du tout !

-Ah, mais si ! Tu viens tout juste de dire que j'ai assommé le chef et que tu n'étais pas la seule à t'être battue ! »

Violette rougit alors devant le grand sourire satisfait de Kholm, honteuse d'avoir été prise à son propre jeu. Le jeune homme lui tendit alors sa pochette d'artiste. Elle le saisit et souffla entre ses lèvres :

« Merci...

-Oh, mais de rien, très chère ! »

Elle allait lui faire ravaler son sourire narquois, quand une feuille s'échappa de la pochette. Kholm se pencha pour la ramassé, et alors qu'il allait la rendre à Violette, il fut saisi par le style unique de la jeune fille. Sur la feuille s'étalait un tourbillon de couleurs chaudes tracées à l'aquarelle, tandis qu'une fleur aux couleurs bleues et vertes s'épanouissait en son centre. Des formes et des couleurs diverses semblaient naître au centre de cette fleur et danser, s'entremêler dans un chaos sans nom. Kholm ouvrit de grands yeux.

« Oh... C'est.... »

Violette soupira. Elle avait vécu cette scène des dizaines de fois et savait déjà ce qu'il allait dire. Leurs répliques se croisèrent :

« Affreux...

- Magnifique !

- Pardon ?

- C'est superbe ! J'ai étudié l'art Ahurien, mais je n'avais jamais vu une telle utilisation de la couleur. Le choix des différentes techniques et des pigments est très intéressant aussi. Tu as un talent fou. »

Dire que la Violette était surprise aurait été un euphémisme. L'esprit très cartésien des grenagiens voyaient l'art comme une façon de représenter le réel, ou du moins la vision que l'artiste avait de la réalité. Les Ahuriens, eux, vénéraient la déesse Kaluna, déesse créatrice de la nature et des êtres vivants. Elle avait dessiné chaque plante, chaque pierre, chaque animal, avec une précision et une perfection divine. Dessiner la nature ou un portrait, alors qu'aucune main humaine n'était capable de reproduire cette perfection, c'était comme amoindrir la beauté de la création divine. C'était aussi un terrible péché d'orgueil, car vouloir reproduire le dessin de la déesse était considéré comme penser avoir le même pouvoir qu'elle, voire se croire supérieur. Les Ahuriens évitaient donc toute représentation du réel, préférant exprimer leur ressenti par des couleurs et des formes abstraites.

C'était la première fois qu'un grenagien lui disait aimer sincèrement ses œuvres. Cela la rendit suspicieuse.

« L'art ahurien t'intéresse vraiment ? Ce n'est pas un coup tordu pour avoir une relation avec une fille exotique ? »

Vu le ton qu'elle employait, on avait déjà dû lui faire ce genre de proposition. Kholm rougit violemment. Rien à faire, cette fille le déstabilisait complètement.

« Non ! Non ! Pas du tout ! Je ne veux surtout pas te... Enfin tu es une jolie fille mais je... Ce n'est pas... J'aime vraiment beaucoup ce que tu fais. »

Violette faillit rire devant l'embarras du jeune homme, mais se retint de justesse. Elle se contenta juste de désigner le chemin du menton et de lui dire :

« Si tu veux, tu peux venir avec moi à la médiathèque de ma grand-mère. On a un fonds spécial avec quelques œuvres d'arts et des chants ahuriens. Il faudra faire un détour par le port pour éviter la police du centre-ville, par contre. »

Kholm acquiesça et la suivit. Il avait encore un peu de temps avant que le soleil ne se couche, et il connaissait au final très peu de choses sur l'art ahurien. Il n'avait eu qu'une formation sommaire sur les différents arts du monde. En apprendre plus pourrait lui être utile s'il devait voler l'une de ces œuvres un jour. Il n'avait pas menti, il s'intéressait beaucoup à cet art. Mais peut-être pas vraiment pour les bonnes raisons... 

La Bibliothèque d'IsodiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant