Chapitre titre 3 : Le Grand Effacement

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Il y eut un moment de flottement. Puis la bombe explosa. Les expressions de surprise croisaient celles de la colère, dans une cacophonie inintelligible :

" C'est une blague ?

- J'ai bien entendu ?

- Ce n'est pas drôle !

- De qui se moque-t-on ?

- On nous a vraiment fait venir pour ça ? Pour une chimère ? C'est un scandale !"

Certains voulurent quitter la salle, mais leur curiosité les poussait à en savoir plus. Monsieur Wu se pencha en avant, le menton posé sur ses mains croisées, intrigué. Lanslet, lui, restait étrangement calme. Une fois que la cohue se soit apaisée, il demanda d'une voix posée et sérieuse, bien loin du ton badin qu'il employait habituellement :

« Êtes -vous sûr de ce que vous avancez, mon garçon ? Vous pensez vraiment pouvoir nous rendre la Lecture et l'Écriture ? »

On sentait les majuscules dans sa voix. Willow bu un peu d'eau, puis il s'appuya sur son pupitre et regarda Lanslet dans les yeux, sans sourire :

" Je suis on ne peut plus sérieux, Robb. Et oui, retrouver la Lecture et l'Écriture est possible."

Il se dirigea vers un tableau noir, jusqu'alors dissimulé derrière un rideau, et traça des lettres capitales tremblotantes. E.L.E.J.A. Puis il souligna dans des couleurs différentes les syllabes qui composaient le prénom.

" Voici comment s'écrit le prénom de ma femme. Il se lit "é","lé", "ja". "

Un silence de plomb régnait dans la pièce. Monsieur Wu blêmit et murmura : «Comment est-ce possible ? ». Willow se mit alors à marcher de long en large, pour évacuer son excitation. Les convives le suivirent du regard pendant un petit moment, puis il consentit à commencer son exposé :

« Comme vous le savez, nos historiens ont mis à jour le fait que nos ancêtres ont probablement réussi à maîtriser l'Écriture, et donc également la Lecture. Cependant, il semble qu'une catastrophe de nature inconnue, qu'on appelle aujourd'hui " Grand Effacement", nous a fait totalement oublier cet art. Et cet événement aurait eu lieu il y a seulement cent cinquante ans. Les écrits et les œuvres d'art antérieurs à cette époque ont disparus. Nous nous sommes aperçus que ce phénomène n'était pas seulement arrivé à Grenage, mais dans l'ensemble des cinq nations. Nous avons tous perdu nos écrits et nos œuvres d'art. Donc aucun des cinq royaumes ne peux accéder à sa culture passée autrement que par le bouche à oreille et les quelques reproductions que nous avons retrouvées. Nous avons également perdu le savoir sur la conservation des différents documents autre qu'audio, ce qui fait qu'un jour ou l'autre nous perdrons toutes nos œuvres d'art contemporaines...

Cependant, il y a quelques mois, en allant visiter les mines de Liang, des ouvriers sont venu me montrer ce qu'ils avaient trouvé près des mines. Les restes d'un village de mineurs vieux de plus de 160 ans. Je suis allé l'explorer, et j'y ai découvert une petite école. Et ceci. »

Eleja éteignit la lumière et alluma le projecteur, qui diffusa une image sur le mur blanc derrière son mari. Il s'agissait d'une photographie d'un cylindre en cire, dont le carton, étonnement bien conservé, arborait des signes étranges aux formes rondes, dont certains étaient dans le prénom écrit au tableau. Et, en plus petit, en dessous de chaque signe, d'autres signes aux formes plus géométriques, formées de triangles, de traits et de points.

Devant l'air fasciné des actionnaires, Willow attendit quelques secondes qu'ils s'imprègnent de la photo avant de reprendre :

« Le lunarium étant un minéral volcanique, le village avait été construit à flan du volcan Yening, qui était en sommeil depuis des siècles. Malheureusement, le volcan s'est réveillé subitement et a englouti le village. La lave a conservé tout ce qu'il y avait en dessous, y comprit ce cylindre et son emballage. A l'époque, l'école servait à instruire les enfants des mineurs grenagiens, venus vivres à Liang après le grand exode de 1706, mais également les enfants liangites des villages aux alentours. Ce qui faisait que les professeurs faisaient les cours en deux langues. Et, après des semaines de recherches, j'ai finalement comprit que le son enregistré sur ce cylindre était une comptine récitant l'alphabet. Alphabet représenté sur le carton. Je suis donc capable de lire et d'écrire les alphabets grenagiens et liangites en me basant sur cette comptine ».

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