Ils arrivèrent finalement devant la petite médiathèque de North Harbor. C'était une toute petite structure, installée dans un ancien pub. Le bar en bois vieilli servait d'ailleurs de banque de prêts, les casiers contenant les photos des ouvrages et des adhérents avaient remplacé les bouteilles d'alcool. Des caisses en bois, données par les dockers, servaient à ranger les disques de métal et de cire. Des pictogrammes représentaient les différentes catégories d'ouvrages : musique, histoire, sciences, reportages, etc. Contre le mur de droite, des vieux casiers en métal rouillé, récupérés dans les vestiaires des docks, servaient d'étagères de fortune pour exposer la maigre collection d'albums de reproductions iconographiques. Les originales, elles, se trouvaient dans des musées ou les maisons de riches collectionneurs.
Un vieux canapé au cuir bleu fatigué était installé dans un coin de la pièce. La médiathécaire avait fait le choix de conserver l'ancien mobilier du bar, des chaises en osier et des tables faites avec des immenses bobines en bois, utilisées initialement pour enrouler les cordes sur les quais. Sur deux d'entre elles se trouvaient des gramophones à manivelle, que les habitués de la médiathèque pouvaient utiliser pour écouter des disques sur place. Un joyeux air de jazz s'échappait de l'un d'entre eux. Partout, de jolis napperons en crochet recouvraient les meubles, des coussins brodés étaient disposés à même le sol. Kholm, qui était habitué au silence austère des médiathèques du centre ville, fut surpris de voir autant de confort et de bruit. Il n'y avait même pas de casques raccordés aux gramophones pour que les auditeurs ne dérangent pas leurs voisins. Et, il rêvait, ou il y avait des albums par terre, entre deux coussins ? Comment pouvait-on avoir aussi peu de respect pour ces œuvres ?
Violette soupira, posa sa pochette sur une table et appela :
« Grand-mère ? Où es-tu ? Tu as encore laissé les gamins du quartier faire n'importe quoi avec les albums ! »
Alors qu'elle ramassait les livrets en grommelant quelque chose d'inintelligible, une tête blanche émergea soudain de derrière le comptoir. Cheveux argentés, lunettes en demi-lune, c'était là tout ce que cette femme avait en commun avec les médiathécaires de la ville. Celle-ci avait les cheveux très courts, bien loin des chignons impeccables qu'il avait l'habitude de voir. Elle portait un chemisier bariolé dans un pantalon de cuir bleu électrique, d'où émergeaient des santiags rouges. Elle avait dû être très athlétique dans sa jeunesse, et gardait un corps souple et mince. Sur son visage marqué par les années, un immense sourire chaleureux se dessinait au rouge à lèvres violet, tandis qu'une étincelle de malice brillait dans ses yeux verts. La médiathécaire était à l'image du lieu : atypique.
Elle lança un magnifique sourire à sa petite fille :
« Oh ma chérie, je ne t'attendais pas aussi tôt ! Tu as ramené un ami ?
- Juste quelqu'un d'un peu moins idiot que les autres... Il s'intéresse à l'art ahurien. »
La médiathécaire ouvrit de grands yeux étonnés et reporta son attention sur Kholm. Il ne savait pas pourquoi, mais il se sentait mal à l'aise sous le feu du regard émeraude.
« C'est vrai mon garçon ? Tu t'intéresse à l'art de notre communauté ?
- Oui, madame. Puis-je vous poser une question, madame ? »
La vieille médiathécaire grimaça.
« Seulement si tu m'appelle Magenta, et que tu me tutoies. J'ai l'impression de prendre un an à chaque « vous » et dix à chaque « madame ». On ne m'a pas appelé « Madame » depuis mes vingt ans, le jour de mon mariage, et ça me va très bien. Veux-tu un chocolat chaud ?
- On peut boire dans une médiathèque ? s'étonna Kholm.
- Ma grand-mère n'a pas beaucoup de considération pour les œuvres, donc elle autorise n'importe quoi dans sa médiathèque, y comprit boire et manger ; persifla Violette. C'est à se demander comment elle a eut ce poste...
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La Bibliothèque d'Isodia
FantasiaKholm ne sait ni lire, ni écrire. Comme tous les citoyens des cinq royaumes. Depuis le Grand Effacement, il n'existe plus aucune trace écrite de quelque nature que ce soit, et les habitants de ce monde ont oublié ce précieux savoir. Pourtant l...