Chapitre 10

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          Je range mon exemplaire de The Lady in the Lake de Raymond Chandler et ferme mon sac. Je quitte enfin cette horrible chambre d'hôpital. La plaie de mon dos cicatrise bien, mais je garderai toujours une horrible cicatrice qui s'étale de mon épaule droite jusqu'à mes reins, longeant ma colonne jusqu'à mes côtes. Quand je partirai, je garderai ce souvenir de Lily, regrettant de ne pas en avoir de Roxanne.

          Cela fait maintenant deux semaines que j'attends des nouvelles de Taïs. Il ne m'en a pas donné. J'ai essayé à diverses reprises de l'appeler, de lui écrire. Il ne m'a jamais répondu, pas une seule fois. Je dois le trouver, lui parler, lui expliquer que ce n'est pas si grave, que ce n'est même pas important, que c'est tout simplement le passé.

          Paul vient me chercher d'ici cinq minutes. Il m'a envoyé des messages chaque jour, mais n'a jamais répondu quand je le questionnais sur son ami. Jamais je n'aurai imaginé que l'on puisse s'entendre. Malgré les évidentes difficultés que je rencontre à comprendre parfois ce qu'il dit, je l'apprécie. A force de me parler de chez lui, au Québec, il m'a donné envie d'y aller.

- Are you ready ?

Pile à l'heure. Je lui souris, prend mon sac, et le suis jusqu'à sa voiture.

          Dans la BMW de Paul, je retrouve un peu le sourire. Il a mis le volume de l'autoradio au maximum, jouant les chœurs à Enrique Iglesias. Je m'enfonce dans le siège en cuir, redoutant mon arrivée à Le Corbusier.

- Bon Lily, c'est quoi le problème ?

- Rien... Il n'y a pas de problème.

- Ne me mens pas s'il te plait, c'est pire que tout !

- Que veux-tu que je te raconte ? J'ai seulement mal.

Mal au cœur. Mais ça, je ne peux lui dire. Son regard cherche à lire en moi, je le sens.

- Reste concentré sur la route s'il te plait, j'ai peur en voiture.

- Depuis quand ?

- Depuis toujours.

°°°

          Je frappe trois petits coups rythmés à la porte, comme à chaque fois que je lui rends visite.

- Taïs ?

Pas de réponse. Des bruits de pas.

- C'est moi, c'est Lily. Ouvre s'il te plait, on doit parler.

La porte s'ouvre. Ses yeux sont tristes, ses cheveux sont en bataille.

- Ok. Rentre.

Je le suis à travers sa chambre, jusqu'à son bureau. Ce meuble est recouvert d'objet en tout genre, aussi inutiles que beaux. Son ordinateur est ouvert et un logiciel de composition musicale est allumé. Je m'assois.

- Je ne savais pas que tu étais rentrée.

- Paul m'a ramené.

Son regard parcours le sol.

- Je sais que tu m'en veux, que tu ne me crois pas, et tu n'as pas tort. J'ai beaucoup réfléchie tu sais, et j'en suis arrivée à la conclusion suivante : tu as raison, je te dois la vérité. Mais cette vérité est lourde, elle est douloureuse, alors je ne rentrerai pas dans les détails, j'en suis totalement incapable. Je veux juste que tu sache que s'était un accident, je ne suis pas une meurtrière. Jamais je n'aurai pu préméditer quelque chose d'aussi atroce. J'ai toujours voulu protéger ma famille. J'ai payé pour mes actes, tu sais. J'ai perdu mon enfant, j'ai dû renoncer à tout. Je n'ai même pas pu assister à l'enterrement de ma fille, que peut-il y avoir de pire pour une mère ? Tu ne peux imaginer à quel point ça a été dur pour moi, elle était absolument tout ce que j'avais, ce que j'aimais. Perdre Charly m'a mise face à ma propre incapacité à contrôler ma vie. Je n'ai pas pu sauver mon bébé. Puis j'ai changé de vie, j'ai changé d'histoire. Roxanne était malheureuse, elle n'a pas eu la vie qu'elle espérait. Victime de son mari, elle ne pouvait vivre, elle se contentait de survivre. Elle aussi est morte ce jour-là. Alors j'ai fait tout ce que je pouvais pour réaliser chacun de ses rêves. La seule chose que je m'interdisais, que je lui interdisais, c'était les hommes, l'amour. Car c'est à cause de l'un d'eux que tout ça est arrivé.

- Mais...

- Non, laisse-moi finir. Je t'en prie. Pendant plusieurs mois, j'ai voyagé. J'ai changé d'apparence, mais je ne parlais à personne, j'avais tout le temps peur qu'on reconnaisse Roxanne à travers moi. J'ai alors compris que la meilleure des choses serait d'avoir des constantes dans ma vie. Un travail, un entourage. J'ai toujours étais sportive, ça n'a donc pas été compliqué de devenir pompier. J'étais effrayé en arrivant à Le Corbusier. Il y avait tellement de risque que quelqu'un remarque quelque chose d'étrange. Mais Roxanne a toujours fantasmé sur ce travail, alors j'ai tenu le coup, j'ai redoublé de prudence. Et plus les jours passaient, moins je m'inquiétais. Et je t'ai rencontré. Je t'ai d'abord crains, comme je crains toute personne qui m'est étrangère. Mais je ne sais pas encore comment, tu as réussi à m'aimer. Je t'ai vu te rapprocher de moi. J'ai essayé de lutter, mais c'était trop dur. J'étais, malgré moi, éprise de toi. Je savais très bien que rien ne serai possible entre nous, je me l'interdirais toujours. Mais chaque jour, j'avais de plus en plus besoin de toi. Besoin de te voir, besoin que tu me dises ce que tu ressens, que tu me dises que je suis belle, que tu continu de me sourire quand mon regard croise le tiens, que tu sers ma main quand j'ai peur, que tu continu de m'aimer...

J'ai fini par m'auto-persuader que tu avais sus lire et voir ce qui se cache au fond de moi. Croire ça m'autorisait à rêver à une fin heureuse. Mais dans mon histoire à moi, il n'y en a pas.

Et puis il y a eu l'accident, mes révélations. Ces mois passés à tes côtés m'ont appris une chose : tu ne renonce jamais. Je savais que tu allais faire des recherches. Ton silence a confirmé mon intuition, tu connais mon histoire. Et tu ne peux l'accepter. Je le conçois.

Je vais partir. Loin. Je n'ai pas le choix, je ne peux t'imposer un tel fardeau. De toute manière, je n'ai même plus de travail, j'ai étais viré de Le Corbusier.

Je voulais juste que tu entendes ce que j'avais à te dire.

Je me lève, embrasse son front une toute dernière fois, et me précipite jusqu'à la sortie de la chambre.

LilyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant