Anne

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— Colette ! Je suis rentrée !

— Tu as eu le temps de passer prendre quelques citrons ?

Je pose les trois fruits à côté d'elle sur le plan de travail.

— Ils viennent tout droit d'Ischia.

Je sais qu'elle ne jure que par les citrons italiens, j'étais contente d'en trouver.

Je vais dans ma chambre et m'assois sur le lit. Au toucher, je sais qu'ils sont propres, quelle tête de mule. Enfin, ça me fait plaisir, ça sent bon la grand-mère. Elle ne me le dit pas, mais je crois que je suis un peu sa petite fille. Son mari est mort jeune et elle ne s'est jamais remariée. En tout cas, il n'y a jamais d'enfants dans les histoires qu'elle me raconte.

Pourquoi est-ce que j'ai invité Jade ? Je crois que c'était de l'ordre du réflexe. Une excellente occasion de passer une soirée en bonne compagnie. Quand je me suis rappelé que j'étais sa prof et non sa copine, c'était trop tard. Est-ce que c'est bizarre ? Ce sera bizarre si je rends ça bizarre. Et c'est jade. Si elle trouvait ça bizarre, elle m'aurait dit : « c'est bizarre, Renart. »

Renart. Dans sa bouche, ça sonne comme un sobriquet affectueux. A-t-elle calculé la probabilité que je sois rousse en me nommant « Renart » ? Je ne doute pas que le résultat l'ait amusée. Et pourtant elle n'en a jamais dit un mot, parce qu'elle s'en fiche. J'aurais été bien déçue de devoir la mettre dans ma catégorie « gros lourd ».

« Oh c'est marrant, tu t'appelles Renart et t'as les cheveux roux »

« Eh, Renart, heureusement, t'as pas les cheveux bruns. »

« Eh ! y a une faute à ton nom, ce serait mieux avec un d, avec ta couleur de cheveux »

Je soupire. Mes années de collège ont vraiment été longues.

Mon téléphone vibre et je rigole de la photo que m'a envoyée Lisbet. Elle est au bar avec deux pointes, une pour elle, une pour moi. Le message qui accompagne la photo : « Ta bière t'attend, j'ai beaucoup de hâte de te voir ! »


Quand j'ouvre la porte, le chat me file entre les pattes. En relevant la tête, je suis happée par le bleu perçant des yeux de Jade, rehaussé d'un habile trait noir. Je reste connement là à la regarder sans rien dire.

— Fais-la donc entrer, Anne ! On ne va pas faire le réveillon sur le palier !

Colette me tire de mes pensées et je la fais entrer. Je n'avais jamais freezé. Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes, ça me trouble un peu.

Jade parle beaucoup pendant le repas, Colette l'asticote de tout un tas de questions. J'ai plaisir à la voir si souriante. Et l'état voudrait me poursuivre pour un peu de bonheur apporté à mes élèves. Qu'il le fasse, je me félicite d'avoir invité Jade, finalement.

Les cadeaux de Colette ne m'étonnent pas. Sa maison n'est qu'une bibliothèque géante. Du sol au plafond et dans toutes les pièces. Toutes. w.c. inclus. Enfin, ceux des toilettes sont ceux méritant tout juste leur place.

J'ai offert à Colette une jolie gourde en inox, ses bouteilles d'eau m'agacent. C'est pas écolo. Elle ricane en la déballant, pas besoin de lui faire un dessin. Le roman graphique que j'ai offert à Jade parle de la richesse de la différence. Une petite fille qui se sent monstre au début.

Zèbres [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant