Anne

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En ouvrant les yeux sur ma chambre ce matin, mon cœur s'est serré un peu. Retour à la vie normale, loin de ma danoise. Puis Jade se faufile dans mes pensées. Je souris malgré moi, je suis contente de la retrouver tout de même. Est-ce qu'elle sera contente de me retrouver ?

— Oh là, mais à quoi tu penses, toi ?! T'es sa prof de math ! Personne n'est ravi de retrouver sa prof de math.

Je me lève et vais me préparer. Ça va pas bien moi, quand même.


Dans les transports, je mets la musique à fond pour m'éviter de gamberger. C'est d'une efficacité relative, mais j'arrive quand même au lycée plus sereine.

Je suis un poil en retard et me dépêche de sortir mes clés. D'un rapide coup d'œil, je vois qu'il y a eu des changements intéressants dans la classe. Gaël sort enfin avec Louisette et Marine semble avoir troqué Romain pour Erwan. Enfin, Romain n'est pas en reste. Son regard appuyé vers Myriam en dit long. Que des hétéros. Où êtes-vous les autres ? Rajan peut-être ?

Je glisse la clé dans la porte et attrape le bonnet de Jade. Je suis surprise de son sourire. Et contrariée de l'apprécier autant. Je respire un bon coup. Les élèves s'installent, je m'assieds sur le bureau, le cours commence.


— Dis à Colette que j'ai aimé son livre.

C'est presque une habitude de savoir qu'elle va venir me dire un mot à la fin du cours.

— Ah oui, je n'y manquerais pas !

— Tu as bronzé, tu as passé où tes vacances ?

Qu'elle ait remarqué ce détail n'a rien d'étonnant. Sa familiarité est habituelle. Alors pourquoi j'hésite ? J'enraye ma pensée à la seconde où je risque d'entendre la réponse. J'y réfléchirai dans sept mois.

— Au Danemark. Il y a eu beaucoup de soleil.

— D'accord.


Je n'ai pas pu attendre sept mois. Maintenant que l'idée est là, il fallait que j'y pense. En grondant Zacharia j'y ai pensé, en réexpliquant à Morgan j'y ai pensé, en félicitant Lucas j'y ai pensé, en buvant mon café, en prenant ma douche, en corrigeant mes copies.

Elle m'attire. Jade m'attire. Je suis attirée par Jade. Je suis assise dans le canapé de Colette, le chat sur les genoux, on est samedi, et cette conclusion est une énorme tache noire dans mon esprit. Sept mois. Sept longs mois à devoir la regarder sans lever le doigt.

Je m'enfonce un peu plus dans le canapé, observe les paillettes de poussière briller au soleil. Et Lisbet ? Je soupire à l'idée de ses doigts sur mon corps. Mais j'aime l'excitation de la revoir, la fièvre intense de quelques jours hors du temps, pas le quotidien. Elle non plus, je pense. Même si nos cœurs ont saigné de se quitter, c'est une entente tacite entre nous. Nous ne vivrons pas ensemble. Nous nous ennuierions.

L'ennui est ma malédiction. Je vois le monde au ralenti. Les gens parlent lentement, pensent lentement, réfléchissent lentement, déduisent lentement. La vie a été mon école de la patience et aujourd'hui, enseigner est le frein qui me permet de m'adapter aux autres. Les gens ne vivent pas lentement, c'est moi qui réfléchis vite. Je ne blâme personne et m'adapter ne me dérange plus. Ma jeunesse fut longue et solitaire pour ces raisons précises, mais maintenant que j'ai rangé mon agacement, tout va mieux. Sauf en termes de relation. Je ne suis pas capable, non, je ne veux pas faire cette concession. Il est hors de question que je m'ennuie dans mon couple. Et ça, je l'ai bien compris avec Éric. Maintenant, je sais que j'avais l'impression de mourir à petit feu, me momifier dans un corps qui n'était pas le mien. Bon, disons-le aussi, il était nul. Au lit. Nul. Une langue, dix doigts et une queue, je n'ai jamais joui comme avec ma danoise.

Zèbres [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant