C2 - Mourir ou survivre (3/3)

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— Ils sont magnifiques, lui murmura Ixli.

Sojeyn leva la tête et découvrit sa tante, revêtue de sa longue robe bleue d'uriahmi. Que faisait-elle ici dans le tunnel ? Malgré son envie de comprendre, il demeura muet, tandis qu'elle tendait un doigt vers un petit poisson orange avec des bandes jaunes verticales. Tous les deux reculèrent, arrachant un sourire à l'adolescent. Lequel avait été le plus surpris ?

— Vraiment, si je n'étais pas certaine d'évoluer dans ton rêve, je les trouverais très réalistes. Ton imagination m'a toujours émerveillée.

— Dans mon rêve ? répéta Sojeyn, interloqué. Si je rêvais, comment pourrais-tu en faire partie ? Tu te trompes.

Ixli se retourna vers lui, il croisa ses yeux bleu-or, où une profonde tristesse régnait.

— Tu fermes tellement ton esprit, mon neveu ! Sinon, tu te rappellerais de notre voyage dans l'Entre-Deux monde pour sauver Flore durant sa quête de la tribu légendaire. Grâce à celui-ci, et ton kiriah de guérison, nous lui avons évité la mort. Merioni nous servait de point d'ancrage dans le monde des Vivants... comme en ce moment.

— Je... je n'aime pas penser, répliqua-t-il, le visage baissé.

— Pourquoi ?

L'entendre si près de lui le fit sursauter, et son regard coula vers elle. Sa tante s'était assise à ses côtés, continuant à admirer le bal des poissons multicolores au milieu de la flore bigarrée. Il était convaincu qu'elle connaissait la raison, mais voulait qu'il l'avoue. Après quelques secondes d'hésitation, il capitula :

— À cause de mes cauchemars. Dedans, des Auroréens s'écroulent sous les tirs d'étranges armes, leurs yeux ouverts sur le monde des Morts. L'odeur âcre du feu me prend à la gorge, et ses bras brumeux m'étouffent. Il me nargue, se régale de ma souffrance. Des iris, jaune et rouge, jubilent de me voir au sol. Seul ce lieu, ici, m'apaise, me soulage, et me... rassure.

Et aussi la petite fille avec son sourire joyeux.

Il garda cette information pour lui. Elle appartenait à son jardin secret, jamais il ne le partagerait.

— Même si je ne sais pas où se situe ce tunnel, je m'y téléporte. Il m'empêche de sombrer. Je ne désire pas le quitter.

— Tes cauchemars sont la réalité, hélas, et... ce merveilleux univers, ajouta-t-elle en désignant d'une main celui-ci, est une invention de ton esprit.

— Impossible ! Tu mens. Aurora vit en paix, les Siècles de la Décadence ont disparu.

Sojeyn se mordit les lèvres. Il n'avait plus élevé la voix contre sa tante, contre l'uriahmi royale depuis... depuis le sauvetage de Flore. Maintenant, il se souvenait ! Il avait failli mourir lui-même, et Ixli l'avait ramené dans le monde des Vivants. Une leçon mémorable sur l'abus de ses pouvoirs psychiques s'en était suivie.

« Un kiriahni évolue dans le rêve du dormeur », lui avait-elle appris. Ce qui expliquerait sa présence dans ce tunnel, sans compter que...

— Personne ne peut cacher la vérité quand elle communique par la pensée, énonça-t-il. Excuse-moi, ma tante. Je ne voulais pas te manquer de respect, mais j'ai tant de mal à croire que tout ceci soit faux. Que m'arrive-t-il ?

— Comme je te le disais, tes cauchemars sont la réalité et ton esprit ne l'a pas supporté. Trop de violence, trop de morts, trop de douleurs. Il s'est donc protégé dans un monde de douceur où tu ne risques rien.

Les propos d'un des quatre jeunes gens lui revinrent en mémoire : « Le couple royal a été assassiné par les Astrydiens et Flore, notre compagne d'armes, forcée de s'exiler sur Dalghar. Il y a plus d'un mois. »

— Eux aussi me soufflaient la vérité, reconnut-il à contrecœur. Un usurpateur contrôle Aurora, ma sœur survit sur un monde inconnu, pendant que moi... je me réfugie ici. Tel un couard, j'ai essayé de me...

— L'annonce brutale a été une erreur, ils ne voulaient pas te blesser, le coupa Ixli. Confronté à cette réalité, que ton esprit fuyait, t'a mené à un autre moyen pour t'en évader. Crois-moi, Sojeyn, tu n'es pas un lâche. Tu as prouvé ton courage face à Xénon d'Astrydie lors d'un duel à l'épée en échange de la vie de tes parents. Ses yeux sont jaune et rouge, comme ses cheveux d'ailleurs. Étrange peuple guerrier, dont les membres se ressemblent tous, ou presque.

Peut-être sa tante l'avait-elle persuadé, peut-être se sentait-il en sécurité avec elle, ou peut-être les deux. Ses paroles ouvrirent les vannes de sa mémoire. Les images interdites s'y bousculèrent : la vision de Flore, le rejet du Conseil, la quête des Imlayas, l'adhésion d'Aurora à Aequalis, la duperie de l'ennemie, puis l'invasion éclair. Avec sa sœur, ils avaient approché de si près leur but. Sauver la planète ! L'échec n'en avait été que plus grand avec la mort de leurs parents, du sacrifice de Tojian et, pour finir, l'exil forcé de Flore.

À chaque souvenir douloureux, son cœur se déchirait un peu plus en lambeaux. Les larmes s'échappaient de ses yeux. Sojeyn ne tenta pas d'endiguer le flot, il ne chercha pas à le dissimuler à Ixli. Elles se déversaient sur ses joues glacées.

Néanmoins, elles ne l'épuisaient pas, ne le détruisaient pas.

Pour la première fois depuis le début de ses cauchemars, ses sanglots le lavaient de ses peurs, lui apportaient du réconfort.

Une chaleur nouvelle.

Peu à peu, l'apaisement effaça son chagrin. Le prince reprit le cours de ses réflexions avec plus de sérénité. Puisque les propos de sa tante avaient eu raison de ses barrières défensives, pourquoi avait-elle autant attendu ?

— J'ai fait une faute, ton dernier acte me l'a montrée, rétorqua-t-elle, comme si elle lisait en lui, même s'il savait que les Principes le lui interdisaient. J'aurais dû te visiter plus tôt, mais je souhaitais te donner du temps pour revenir vers nous.

Dans une autre circonstance, Sojeyn aurait souri. Voir l'uriahmi royale confesser une erreur détonnait. Il referma cette parenthèse avec amertume et déclara tristement :

— Que veux-tu de moi ? Je te remercie de m'avoir aidé à poser des mots sur mes tourments. Hélas, ton « voyage » ne suffira pas à les surmonter. Je me sens incapable de guider les Imlayas ni d'endosser le rôle de chef de la résistance.

— Ta route vers la guérison sera encore longue, personne n'exigera de toi un tel effort. Une telle responsabilité. Lorina est la gardienne de la tribu, elle dirige très bien le village. Nous désirons juste ton retour parmi nous, et tu avanceras à ton rythme.

Le prince ne répliqua pas. Il n'éprouvait aucune envie de renoncer à ces lieux, tant il craignait de plonger à nouveau dans ces cauchemars... ou pire. Il demeurait persuadé qu'il devait attendre la petite fille, que sa lumière le sauve.

Pourtant, elle l'a déjà tenté, lui souffla son esprit.

« À condition que tu retrouves l'espoir, le goût de te battre. » Ses paroles résonnèrent dans sa tête, ses parents lui avaient transmis le même message. Il les avait tous rejetés. Rester à l'abri dans son tunnel ne lui apporterait plus rien. Sauf de se cloîtrer définitivement dans son univers, ce que les quatre jeunes gens avaient qualifié de folie.

Il partageait leur avis.

— Je... je reviendrai... avec ton aide, et celle des Imlayas. Mais ne me demandez pas de combattre... pas tout de suite.

— Ta décision me comble, mon neveu. Tu t'occuperas des okydas, de leurs soins, et des écuries. Tu as toujours adoré l'équitation. Je dois te quitter maintenant, ce voyage dans ton rêve va me coûter plusieurs jours d'énergie.

À peine Sojeyn approuvait-il le choix d'Ixli, que celle-ci s'estompa. De nouveau seul dans son tunnel, il contempla un instant les magnifiques poissons.

Avant de se réveiller.

Aurora T2 : Les Cendres de l'ExilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant