C3 - Accidents (3/3)

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— Pourrais-tu redresser l'avion, s'il te plaît, intima Kris d'un ton neutre.

Brian observa son frère à la place passager, et se mordit les lèvres pour ne pas rire. Ses cheveux blonds pendaient, à l'instar d'une botte de blé mise à sécher au plafond, alors que ses joues devenaient cramoisies. Une image très éloignée de celle habituelle de son aîné, à l'apparence impeccable en toute circonstance.

— Pourquoi n'admires-tu pas le paysage au lieu de râler ? Dans cette position, tu as un champ de vision à cent quatre-vingts degrés.

— Je préfère le voir sans avoir la tête renversée et sans frôler la cime des arbres.

— Les ailes basses te gêneraient.

— Tu avais promis de ne pas te lancer dans des cabrioles ! lui rappela Kris, une pointe d'agacement dans la voix.

— Comme tu voudras ! soupira-t-il.

Au travers de la vaste verrière transparente, Brian balaya des yeux à regret les pics enneigés de la haute montagne d'Inofer, les coulées vertes de sapins en contrebas ; et les lacs turquoise qui brillaient de mille feux sous les rayons du soleil.

Après un second soupir, il bascula l'avion avant d'actionner le pilote automatique.

— J'avoue être admiratif devant ton stoïcisme. N'as-tu jamais peur ?

— Pas avec toi, malgré ton côté casse-cou, confessa son aîné. De plus, je m'y attendais au moment où tu as passé l'appareil en mode manuel.

— Merci pour le compliment, mais cela ne signifiait pas que j'allais le mettre sur le dos.

— Avec une machine capable de subir des figures de voltige ?

Brian manqua de s'étouffer. Kris ne s'intéressait pas à l'aspect sportif et ludique de l'aviation. Qu'il distingue un tel aéronef avait de quoi surprendre. Son rire, encore plus.

— Tu devrais te regarder dans une glace ! À mon tour de me moquer de toi.

— Je ne me suis pas...

— Vraiment ? Ce n'était pas mon impression lorsque j'avais la tête vers le bas.

Démasqué !

Bon joueur, il se rallia à la joie de son frère et s'absorba dans la contemplation du paysage. Le prince ne s'en lassait jamais, surtout avec ce point de vue imprenable. Comme il appréciait le silence, à peine dérangé par le bruit du moteur à l'électricité verte. À cette pensée, il se remémora les modèles peu écologiques, à base de kérosène, qu'utilisaient les Ancêtres sur Terre. Et il fallait élever la voix afin de se faire entendre !

Brian revint à son voyage.

Depuis leur décollage de la capitale Tenori au nord-ouest, l'avion longeait les magnifiques contreforts d'Inofer. La haute montagne se situait au centre du continent principal de Dalghar, à la forme d'une pomme croquée de chaque côté, et étendait ses bras pour diviser en quatre parties distinctes. Dans trois heures, ils parviendraient à la mer sombre d'Iteria à l'est, où régnait l'île du duc Belnog.

Le prince s'imagina se baigner dans un des lacs, sous une des cascades, qu'il survolait. Accompagné de Mélinda, à l'abondante chevelure blond vénitien qui recouvrait une cambrure de reins parfaite. Le parfum de cette fleur féminine ensorcelante se mêla à celles des bois, et l'envie de goûter à sa peau le titilla. Sa bouche s'étira, sa langue humecta ses lèvres à la voix de sa belle l'appelait.

Une secousse brusque de l'engin lui fit ouvrir les yeux. Il se rendit compte qu'il s'était endormi, bercé par le ronronnement du moteur. Kris se réveilla en grommelant :

— À quoi joues-tu encore, Brian ?

— Rien du tout ! Un trou d'air, je suppose. Ne t'inquiète pas.

L'intelligence artificielle aurait dû amortir le choc, songea-t-il, non satisfait par l'explication qu'il avait fourni à son frère.

Comme si celle-ci l'avait entendu, elle annonça :

— Orage sec de montagne, veuillez-vous attacher. J'effectue un contournement de la zone.

Ni lui ni Kris ne contestèrent l'ordre. Le risque de voler au-dessus d'Inofer en hiver résidait dans ses fameuses tempêtes : aucune pluie, aucun vent, juste de la foudre... en rafale. La faible surface concernée empêchait souvent une prédiction fiable de ce phénomène naturel.

Les ceintures de sécurité s'éjectèrent au niveau des épaules de Brian, se croisèrent sur son torse et s'enclenchèrent dans le siège. Sitôt qu'il reposa sa tête sur le dossier, une protection enserra son front. Elle leur éviterait le coup du lapin. Le prince avait été entraîné à ce genre de situation, il connaissait les étapes de la procédure de secours.

Pas Kris !

Bloqué pour voir le visage de son frère, il le contacta mentalement :

Ne te laisse pas impressionner. D'ici peu, l'avion aura atteint un lieu sans danger et tout cet attirail disparaîtra.

D'accord.

La réponse laconique le persuada que son aîné cachait sa peur. En revanche, Brian ne se dissimula pas la sienne : rythme cardiaque accéléré, ventre noué, muscles raides. Il s'enivra de l'adrénaline qu'elle lui procurait, tel un vin d'exception qui coulerait dans ses veines.

Quand un nouvel éclair l'éblouit, la structure de l'aéronef trembla telle une feuille. Il avait dû être touché. À l'instant où cette idée traversa le prince, la verrière s'occulta. Une lumière bleutée se déclencha... et son cœur rejoignit ses lèvres.

Par les gonades des Ancêtres, nous chutons !

— La foudre a détruit une partie de l'empennage. Un atterrissage en urgence est nécessaire, communiqua l'intelligence artificielle.

Un masque tomba du plafond. Brian hésita à s'en emparer. Le mettre signifiait donner le contrôle de sa vie à la machine : elle délivrerait de l'oxygène ou un gaz soporifique suivant la situation.

Ne sois pas ridicule, me dirait Kris. Elle l'est depuis le décollage !

Refuser de le faire ne lui apporterait rien et une alarme stridente l'y obligerait. Aucun gaz n'était émis dans la cabine, pour ne pas indisposer l'équipe de sauvetage lorsqu'ils ouvriraient la porte.

Néanmoins, je préfère m'assurer d'une dernière chose.

— Imprime notre point de chute. Quel est-il ? Village le plus proche ?

— En pleine haute montagne, aucun bourg à moins de trois cents kilomètres.

Le prince grimaça, la situation ne s'annonçait pas brillante. Heureusement, Kris n'avait pas entendu les informations en suivant les consignes de l'intelligence artificielle. Il devait déjà dormir.

Soi-disant pour éviter la panique des passagers ; plutôt, pour ne pas se voir mourir !

Brian regarda encore une fois l'objet avant de l'enfiler à contrecœur. Il espérait retrouver sa famille et ses amis en pleine forme, il désirait encore croquer la vie à pleines dents.

Aurora T2 : Les Cendres de l'ExilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant