C17 - La mer d'Edena (4/4)

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D'un pas sûr, Brian marcha sur le sol mobile jusqu'à une magnifique grille ouvragée. Un disque plein occupait le bas, et des figurines au visage poupin ornaient les extrémités des rayons. Ils les accueillaient les bras tendus. Sur la pancarte au-dessus, un nom en lettres dorées : « Le soleil joyeux ».

Un cadre intriguant.

Flore s'était préparée à un lieu délabré. Or, le long des embarcadères, à la propreté impeccable, des hors-bord et voiliers rutilants attendaient les futurs clients.

Vraiment à l'opposé de son idée !

Alors qu'elle entrouvrait la bouche afin de se renseigner, un homme à la peau aussi sombre que la grille jaillit d'un des bateaux et vint à leur rencontre. Les bras grands ouverts, un quart de lune sur son visage. Elle se mordit les lèvres tant la ressemblance avec les figurines éclatait.

— Bienvenue ! Je suis Lonzo. Que désirez-vous ? Allons, Lonzo, tu le vois bien : un petit voilier pour les jeunes amoureux. J'ai tout ce qu'il faut, avec le confort nécessaire, chambre équipée et salle d'eau. Je peux ajouter la nourriture de vos rêves et les vins les plus fins.

Paroles étranges. Elle n'eut pas le temps de s'appesantir sur leur signification : l'homme continuait son discours.

— Lonzo, n'oublie pas ! Je possède des vidéos et accessoires pour pimenter vos jeux. Vous garderez un souvenir extraordinaire de votre promenade, foi de Lonzo !

Un clin d'œil adressé à Brian. Elle se détourna quand le loueur posa ensuite un regard insistant sur elle.

— Mon amie a des goûts très... classiques, énonça son ami, amusé.

— Si timide ! Malgré la cape, je vois une jolie femme. Le paradis d'Edena met encore plus en valeur le bleu de sa peau.

La discussion la déroutait. De quoi parlaient ces complices providentiels ? Soudain, un détail chez Brian l'interpella. Derrière le noir moqueur de ses iris, un océan intense tentait de l'hypnotiser.

Les lumyels se réveillèrent dans son ventre.

Et ils furent seuls au monde. À peine quelques secondes. Le loueur les ramenait à la réalité en s'éloignant. D'un geste de la main, Brian l'invita à le suivre. Lonzo marcha une vingtaine de mètres et s'immobilisa au niveau d'un voilier à la coque orange pâle.

— Je souhaitais en fait emmener mon amie sur un hors-bord, lui pointa le prince. Si vous êtes autorisé à en louer un maintenant.

Lonzo leva les bras au ciel.

— Vous pensez au meurtre de notre couple royal bien-aimé ? Paix à leur âme. La police a donné son feu vert pour les locations, je vous rassure.

— A-t-elle découvert quelque chose ?

Il fonçait dans la brèche, sur un ton de confidence. Lonzo murmura :

— Rien ! Pourtant, je leur ai fourni toutes les informations possibles.

— Je ne comprends pas.

— Vous ne savez pas ? Le hors-bord a été volé chez moi, en pleine nuit !

Brian jouait son rôle à la perfection. Une attitude empreinte de curiosité, de naïveté feinte et de connivence. Il renchérit :

— Volé ? Ce n'était pas une location ?

— Non seulement ils me l'ont volé, mais ces barbares l'ont incendié ! La police a trouvé la carcasse à plusieurs kilomètres d'ici et l'a rapatriée dans un entrepôt. Pour analyse. Je ne crois pas qu'ils dénicheront le moindre indice. De vrais professionnels, ces monstres. Que Dieu les punisse !

— Pourquoi dites-vous ça ?

— L'alarme a été neutralisée ainsi, révéla Lonzo en claquant des doigts. Aucun dégât ni vandalisme !

— Quel dommage ! Ce bateau doit représenter une sacrée perte financière.

Au moment où le loueur acquiesçait, un malaise l'auréola. Flore activa le pouvoir de commandement et sa perle émit un halo noir. Une douleur lui déchira le crâne. Elle l'ignora.

— Pourquoi hésitez-vous ? Que s'est-il passé ?

— Le lendemain de l'assassinat, le double de la valeur du hors-bord apparaissait sur mon compte. Mais je n'y ai pas touché : avant même d'apprendre le meurtre, j'avais rendu l'argent à la banque !

— Qu'a déclaré la police ? poursuivit Brian.

— Après enquête, elle a reconnu mon innocence. Si je tenais ces fumiers, je les rosserais volontiers.

— Il vaut mieux pour lui qu'il ne se retrouve pas en face d'eux. Nous n'obtiendrons pas plus d'informations. Lonzo ne les a jamais rencontrés.

Soulagée de la brièveté de l'interrogatoire, elle s'empressa de couper le contact. Lorsqu'elle assomma le loueur à l'aide d'une boule d'énergie, Brian retint le corps. Une question muette au fond des yeux. Elle l'éclaira :

— J'ai effacé notre visite de son esprit. Il se réveillera en croyant avoir dormi.

— Bonne idée. Il est incapable de se taire et risquerait d'alerter les Néofeles.

Elle se téléporta avec Lonzo sur le pont du voilier d'où il était sorti à leur arrivée. À l'intérieur, un bureau et une chambre. Flore transporta sa victime sur le lit, puis s'assit quelques secondes. Le temps de calmer les dernières douleurs sous son front. Enfin, elle rejoignit Brian qui patientait au pied du bateau.

— Que faisons-nous ? s'enquit-elle.

— Si nous visitons l'épave, réussirais-tu à déceler un indice malgré son état ?

Elle secoua la tête et Brian soupira.

— Je suis désolée de ne pas être d'une plus grande aide.

— Ne le sois pas. Les trouver dès le début serait trop simple. Lonzo a raison : nous avons affaire à des professionnels. S'il n'avait pas retourné l'argent à la banque, il serait lui-même inculpé et dans une situation très délicate.

— Les Néofeles ont tenté de détourner l'attention ?

— Je le pense. La police pouvait supposer que Lonzo était commandité. Il avait une somme suffisante pour couvrir les frais d'un hors-bord, d'une équipe et du matériel.

Les lèvres serrées, Brian fixait le large où le soleil se couchait. Ses rayons magnifiaient l'eau turquoise sur laquelle les voiliers paressaient, tandis que la musique métallique continuait à se mélanger à l'appel des oiseaux. Quant aux touristes bigarrés, ils déambulaient toujours d'un air rêveur sur le quai.

Comment imaginer qu'un tel cadre ait inspiré un meurtre ?

— Les Néofeles sont un groupe de nobles, énonça Brian d'une voix lointaine.

Où voulait-il en venir avec cette remarque ? La réponse ne tarda guère.

— Dans une semaine, nous célébrons l'anniversaire de Kris. Je ne serais pas surpris si certains d'entre eux étaient présents parmi les invités.

Comprenant la question implicite, Flore répliqua sans hésitation.

— J'y participerai. Beaucoup de Dalghariens ne maîtrisent pas leurs pensées, du moins pas suffisamment devant une Auroréenne en quête de vérité. J'ai enfreint les Principes et recommencerai jusqu'à ce que nous attrapions ces assassins.

Et je gérerai ma souffrance, seule.

Aurora T2 : Les Cendres de l'ExilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant