La neige tombait de l'autre côté de la fenêtre.

6 1 0
                                    

La neige tombait de l'autre côté de la fenêtre. C'était une froide journée d'hiver, une journée que l'on passe au coin du feu, emmitouflé dans des couvertures, un chocolat chaud dans la main, la télécommande de la nouvelle télévision grand écran dans l'autre. Et c'est ainsi que vivait cette famille que le jeune homme voyait par la fenêtre depuis le pont sous lequel il était. Le berceau près de la vitre, deux hommes enlacés l'un à l'autre dans une immense couverture de laine sur le canapé. Il voyait presque la fumée s'échapper de leur tasse de chocolat, il sentait la douceur des biscuits sous leur dent. Il les enviait. C'était le jour le plus froid de l'année, la neige tombait et lui grelottait dans son anorak trop petit. C'était un des plus beaux jours de l'année, un jour où la neige tombe en cristaux brillants sous un maigre soleil, faisant rêver le monde dans la chaleur d'un amour, la bienveillance d'une maison. C'était le jour le plus détestable de l'année. Il était le seul à se rappeler qu'il ne mangerait pas de buche cet hiver, tout juste un bout de pain gelé. Il n'aurait pas la joie d'embrasser sa sœur, de la regarder danser, des étoiles dans les yeux. Il n'aurait pas la gaieté de se plaindre du froid qu'il faisait dehors devant son radiateur en regardant par la fenêtre la neige chuter. Il n'y croyait plus, ce bonheur n'était pas pour lui. Alors, en oubliant la misère du monde, il regardait par la fenêtre de cette maison la vie, et il se réchauffait le cœur en voyant ce nid étincelant d'une sublime tendresse. Un des deux hommes s'était levé et penché au-dessus du berceau un sourire sur les lèvres. En se redressant il jeta un regard vers ce pont couvert d'une douce couche de neige. Il parcourait des yeux les arches peintes de diamants lorsqu'il croisa un regard. Ils se fixèrent quelques brèves minutes, l'un grelottant de froid, l'autre frissonnant de pitié. Un battement de paupières, et l'homme derrière la glace avait disparu.

La nuit tombait de l'autre côté de la fenêtre. La neige brillait sur les toits des maisons, sur les routes, sur les pierres du pont qui se teintaient d'or sous le ciel de feu du crépuscule. Il regardait la ville s'éteindre, la fumée se mélanger aux nuages et obscurcir le ciel jusqu'à faire apparaître les premières étoiles. Il n'avait pas choisi d'être ici, on l'avait rejeté de partout, pour son accent, pour sa couleur de peau, parce qu'il n'avait pas d'argent. Alors il vivait là, sous ce pont entouré d'un milliard d'étoiles. Il les regardait s'illuminer dans le ciel comme si c'était lui qui les allumait à chaque vœu qu'il faisait. Le noir l'enveloppait peu à peu comme une couverture glacée et lui comptait les astres qui s'éveillaient. Ils arrivèrent derrière lui, discrètement, lentement, le vent ne parlait pas, il n'y avait que les étoiles et leurs pas qui se rapprochaient sans un bruit. Seule la lumière vive qui s'échappait de leur lampe trahissait leur présence, c'est comme ça qu'il se rendit compte qu'ils étaient là. Il se retourna vivement, grelottant, les poings serrés dans ses poches et le ventre noué. Deux hommes se tenaient face à lui, il recula d'un pas, ils souriaient. Il tenta de dire un mot mais ses lèvres étaient soudées par le froid, ils avaient le teint pâle comme deux fantômes. Il trébucha subitement sur la neige et se recroquevilla par terre, tremblant de tous ses membres sans savoir si c'était de peur ou de froid. Ses larmes se mélangeaient à la neige qui fondait sous lui, il attendait le coup, il sentait l'un des deux hommes juste au-dessus de lui. Mais rien ne vint, juste une voix murmurée comme pour ne pas déranger. Elle disait « nous ne te ferons rien, ne t'en fais pas, n'ai pas peur, ça va aller. » Il sentit un poids se poser sur ses épaules et une main le faire basculer pour le relever. Ses yeux aveuglés et inondés ne voyait pas très clair mais il attrapa la main qui lui était tendue et se releva doucement, s'appuyant sur les deux hommes qui le soutenaient. Il se laissait faire, ne comprenant pas ce qui se passait. Son cœur battait à tour de rompre dans sa poitrine et il avait la gorge et l'estomac noué mais il se laissa transporter.

La nuit était tombée, l'encre noire faisait disparaître la ville qui s'endormait, un chat miaula au coin d'une rue bordée de réverbères, une voiture passa plein phare le faisant fuir. La porte s'ouvrit sur un salon éclairé par le feu d'une cheminée, la lumière était douce et rassurante. Le jeune homme après avoir été nourri et changé fut installé près de la cheminée où il réussit enfin à parler. Les deux hommes suivaient son histoire, écoutaient ses silences, le comprenaient. « Tu n'es plus seul, on va t'aider ». C'était une froide journée d'hiver mais ce soir-là le jeune homme se glissa sous les couvertures près du feu, un sourire au coin lèvres, l'espoir au coin des yeux. La lueur des flammes s'étalait sur le mur et dansait, berçant l'enfant qui dormait dans son berceau sous la fenêtre qui laissait entrevoir les astres de la nuit.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jun 13, 2021 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

Un pas de plus vers la libertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant