Chapitre 4

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Je somnole, souvent. Ma série du matin est ma préférée, mais ces derniers mois j'ai tendance à m'endormir devant et je ne sais jamais qui était le meurtrier ou le voleur. Je m'arrête donc à ceux qui sont présumés au début de l'épisode, et... je ne peux que supposer la fin. J'oublie de mettre l'enregistrement sur mon vieux magnétoscope, alors que je prévois toujours une cassette vierge à l'intérieur. Je me fais avoir comme un bleu en ne voyant rien venir. Tous les soirs, la même rengaine. J'ai commencé un nouveau livre ce matin. Dans ma chambre, les étagères parcourent les murs avec tous les livres que ma petit Colette a laissés derrière elle en me quittant. Alors je les lis. Je les dévore pour vivre ce qu'elle a vécu à travers tous ces mots. Je reste avec elle autant que possible, pose mes doigts sur les siens dans une étreinte fantôme. Je suis lent et je pense que j'en aurais jusqu'à ma mort. Mes lunettes me permettent tout juste de suivre les petites lettres noires. Mais j'y parviens encore. C'est le principal. Je le lui ai juré, ça. Que je serai avec elle jusqu'à la fin du monde qu'elle m'a créé.

Bougon, je me lève et essaie de trouver une occupation. Mes genoux tremblent quand je bouge. Ma canne est trop loin, vers la porte d'entrée, là où je la laisse quand je rentre chez moi. Comme d'habitude je m'aide des meubles quand c'est possible. Je fais attention le reste du temps. Ma canne m'aide à garder mon équilibre. Mais à la maison au moins, personne ne râle parce que je mets trop de temps à remonter le couloir.

Joel dort.

Dans la cuisine, je fouine à la recherche de quelque chose à me mettre sous la dent. J'ai quelques gâteaux pour le café, j'adore ça mais je les oublie souvent quand c'est l'heure de les sortir. Bah, je m'en fous. Je suis tout seul, de toute façon, qui pourrait m'emmerder pour sortir des conventions sociales ? Y'a que Colette qui les respectait, de toute façon ! Regarde, chérie, un p'tit Spéculos à vingt heures ! Je revisite son regard courroucé de ruiner son petit traintrain tout en engloutissant la moitié d'un petit gâteau. Pas trop vite, je tiens à mes dents, elles sont encore neuves et je maîtrise pas trop le truc. Mais dans ma tête, c'est la fête ce soir. Colette me regarde avec son petit tablier rose à froufrous et lève les yeux au plafond en souriant. Que tu es bête, mon Fabi, quand j'enchaîne lentement deux pas de danse plutôt approximatifs. Bordel, son tablier est toujours aussi moche. Heureusement qu'elle est belle, elle. Colette, Colette, ma Colette ! Mon petit colibri fuchsia, toujours prête à me mettre un coup sur le cul avec son rouleau à pâtisserie si je passe trop près.

Mon gâteau entre les dents, je fouine parmi les pots qui traînent et je les trie. Dans certains, je trouve des épices, du café moulu, des feuilles de tilleul. Dans d'autres, je trouve quinze ans de petites pièces de merde que la boulangère me rend tous les deux matins avec ma baguette, la garce. Je ricane. Y'en a un qui va être ravi de voir ma gueule aux prochaines courses, tiens. J'vais t'en foutre moi, du « m'sieur Moretti », petit con.

La nuit est tombée depuis longtemps quand j'en finis avec le dernier pot de piécettes. Ça m'aura occupé un moment, et la fatigue me pèse. Mais c'est fait, et j'avoue que j'ignorais avoir cette petite fortune dans tous ces pots. Ça va être sympa de lui vider mes bourses sur sa caisse.

Euh.

Peut-être pas dit comme ça.

Mon porte-monnaie.

Pas les bourses.

Putain.

Dans mon lit, je ronfle. J'ai toujours ronflé. Parfois, j'avale de travers et ça me réveille. Ou des bêtes me rentrent le gosier pour se mettre au chaud. Quand il était petit, je racontais des conneries du genre à Flavio. Ça le faisait flipper, le gamin, et je me faisais engueuler par ma Colette parce qu'il avait peur de s'endormir. C'était drôle. Il m'en a voulu pendant un moment quand il a compris que je me foutais de sa gueule, mais il s'est bien vengé quand il a mis des asticots dans ma salade, cet enfoiré. C'était mon digne fils, allez.

C'était.

Je pense pas mal à Flavio, ces temps-ci.

Ça me file le bourdon.

Mais cette nuit, ou plutôt ce soir, ça n'a rien d'une petite araignée qui me fait une visite. Un gros bruit résonne dans toute la chambre. Bam. Bam. Bam. Des cris. Un cri ? Un type gueule quelque part.

J'ai les yeux grand ouverts ça y est. Quelqu'un se fait zigouiller ? Qu'est-ce que je dois faire ? Appeler les flics ?

Bam. Bam. Bam.

C'est marrant, j'ai quand même un vague air de déjà-vu dans cette situation.

Les cris, de nouveau.

Merde.

Oh les connards.

BAM BAM BAM, et ça secoue le mur et ça vibre et

— OH, LES CONNARDS BORDEL !

On dirait la voisine le mois dernier avec son dernier gigolo ! En pire. Au moins elle foutait la paix au mur, elle.

Ils ne m'entendent pas. Bam, bam, bam. Je perçois le nom d'Ulysse à travers le mur et je grimace à m'en faire grincer les trois dents qu'il me reste. Leur lit est pile de l'autre côté, pas loin du mien. J'ignorais que les murs étaient aussi fins.

Y'en a un qui couine.

C'est pas possible.

Je glisse de mon lit entre deux tentatives de leur part pour détruire le mur et chope le premier truc potentiellement utile. Mon chausson. Oui, j'ai failli me péter le dos en le prenant mais il en va de mon intégrité auditive.

Ils ne m'auront pas ! Ils vont voir, ces petits cons, on ne se fout pas de la gueule du vieux Fabrizio aussi facilement !

Je frappe sur le mur.

— VOS GUEULES !

Bam. Bam. Bam.

Ils n'entendent pas. Pire que Joel quand ça baise, ces trucs !

Je frappe plus fort et vocifère :

- OH LES PEDES ! VOS GUEULES !

Un gros son résonne de l'autre côté et je refuse de savoir si c'est humain ou si c'est leur chien. En tout cas, après deux minutes de quasi silence ponctués de quelques bruits de voix, il n'y a plus rien. C'est bon. Ils ont compris.

Je balance mon chausson dans la chambre.

Je peux dormir.

Bordel de merde. 

Les hommes d'à côté [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant