Chapitre 5

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Ulysse et Cyril Hamon

Ah. C'était donc vrai. Ou alors, ils sont frères et font les cons. Mais non. Ils sont trop différents. Ils n'ont rien de deux frères qui jouent les quatre cent coups devant un petit vieux comme moi. Et le bordel qu'ils font de l'autre côté du mur est juste... une preuve dont je me serais passé.

Ça fait un moment que ça me trotte, cette histoire. Il me semblait bien avoir entendu « mari » dans leur petit tour de palier, la première fois. Qui est l'olibrius qui a eu l'idée d'autoriser ce genre de chose ? Deux hommes, ça ne se marie pas. Où est l'amour ? Où sont les marmots qui gambadent et font chier leur mère toute la sainte journée ?

Ça me rappelle la première dispute que j'ai eu avec Colette. Quand elle m'a traité de vieux con mal embouché. J'aurais pas dû mettre une tarte au gamin, paraît-il. Mais il m'avait cherché, avec son regard fier, à m'annoncer des trucs pas possibles. On fait pas ça à son père, et encore moins à sa mère. Pas quand elle vous aime tant. Colette, elle distillait son amour aux quatre vents. Elle donnait tout à ses gamins. A moi, elle a offert son monde. Alors non. On n'annonce pas des trucs aussi fous, aussi impossibles. Qu'est-ce qu'on a raté, pour que ça tourne aussi mal avec ce petit ?

Avec un soupir, je me détourne de la plaquette sous la sonnette de mes nouveaux voisins. Ça me rappelle trop de conneries. Nos engueulades. Le regard déçu de ma femme, sa tristesse.

Et puis aussi... les larmes de mon fils. Sa rancœur. Ses mots, si durs. Le jour où il a finalement claqué la porte quand je l'y ai encouragé. Colette m'en a voulu. Longtemps. Mais c'était pas possible, ce genre de chose. On fait pas ça à ses parents. Quel besoin avait-il de devenir ce genre de type ?

Trente ans plus tard, je n'ai pas de nouvelle de mon fils. Je crois qu'il va bien. Je sais que Nadège est en contact avec lui régulièrement. Mais je n'ai pas demandé à avoir son numéro, ou son adresse. Après tout, pourquoi faire ? Qu'est-ce qu'on pourrait se dire ? Je ne comprends pas ses décisions. Ses envies. Pourquoi il agit comme ça.

Dans mon appartement, Joel jappe quand il me voit. Au moins, lui me met du baume au cœur et je ne peux pas m'empêcher de sourire en le voyant me tourner autour. Je pose ma baguette de pain sur la table du salon. Du bout des doigts, je flatte mon toutou qui se dresse sur ses deux pattes contre moi.

— Aaah, t'es content mon vieux ? Papa est revenu du toubib, t'as la dalle, c'est ça ?

Il jappe sans me laisser en placer vraiment une. Il n'entend plus rien depuis trop longtemps, mon pauvre vieux. Je suis pas sûr non plus qu'il soit encore capable de sentir quelque chose, mais on va faire comme si, tant qu'on le peut... ça sent le pâté pour mon vieux chien.

J'ouvre la baie vitrée et m'appuie sur la rambarde du balcon. Il fait encore chaud aujourd'hui. Je sue, Joel sue, nous suons tous et à al fin on pue tous. Vive l'été, la plus belle saison qui soit. Putain, qui est le con qui y croit, à ça ?

— Arrête de me lécher les jambes, Joel.

Son truc préféré. J'ai bon goût, à force je vais faire la une des journaux : « Un papi léché jusqu'à l'os par son clébard aveugle ». A force de vieillir, il va me prendre pour un jambon.

— Pas les talons, Joel.

Pourquoi est-ce que j'ai mis des tongs, déjà ?

— Pas les orteils, Joel, bordel !

Je tape un peu du pied pour le faire reculer. Mon chien adore les pieds. Surtout quand les gens reviennent d'une longue balade. La mienne était tout sauf à rallonge, un aller-retour à la boulangerie au bout de la rue, mais ça lui suffit pour être content.

Les hommes d'à côté [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant