Un Dilemme pas si cruel

Chapitre 3

« Je suis gay. »

Sasuke regarda l'information faire son chemin dans le cerveau de Sakura. Au bout de quelques secondes, la donnée se lia à toutes les autres, à la moindre bribe d'analyse qu'elle avait pu tenter à son sujet, et elle émit un « Oooooooh... » sonore. Puis elle se resservit – encore, il fallait peut-être l'arrêter, mais ses bras étaient de plomb – et tendit sa coupe vers lui, comme pour trinquer, avant d'avaler son saké.

Il n'osa pas regarder Naruto. Il y avait une raison pour laquelle il n'avait jamais manifesté en public ses préférences : il avait peur du jugement de ses pairs. Uchiha Sasuke était terrifié par la façon dont on le percevait. Il s'en était rendu compte assez tard, lorsqu'il avait remarqué à quel point il avait toujours tout fait pour « poser » le parfait Uchiha, l'image de son père, le ronchon modèle méprisant et trop exigeant avec tout le monde. Celui qui ne montrait jamais ses sentiments, soumis à un virilisme dépassé, celui qui faisait semblant de ne pas voir la douleur des autres et qui se devait d'être supérieur en tout point.

Certaines parts de sa personnalité, notamment son don pour la mise en scène, n'étaient pas calculées. Elles résultaient de sa nature profonde, d'aspects de lui-même qu'il n'avait jamais cherché à dompter, car ils correspondaient d'office aux exigences extérieures. Ce n'était pas le cas de son enthousiasme de bambin, de sa tendance boudeuse et de son besoin d'affection. C'était encore moins le cas de sa sexualité. Il était, avec Itachi, dernier de son clan et, les habitants de Konoha ayant pour la plupart oublié les méfaits de ses ancêtres, le village attendait sans doute qu'il produise des héritiers. Même si la médecine avait largement fait son œuvre et proposait de nombreuses solutions pour les hommes souhaitant procréer, la majorité de la population tenait toujours pour acquis qu'une personne était hétérosexuelle, surtout si elle correspondait aux clichés traditionnels du mâle cisgenre.

Même Naruto avait l'air de trouver ces préjugés stupides, mais Sasuke n'avait jamais réussi à savoir à quel point il était renseigné, ouvert, ou au contraire homophobe. Si c'était le cas, il lui casserait la gueule et s'éloignerait pour lécher les blessures de son cœur à vif. Après tout, le garçon avait plusieurs fois manifesté son aversion pour les lectures érotiques de Sakura – celles-ci n'impliquant, de ce qu'il avait compris, que des hommes.

Il n'avait pas envie de regarder son visage écœuré maintenant. Ni maintenant, ni jamais. L'alcool commençait à faire son effet et il sentait ses joues le brûler. Il ne voulait pas faire face à ça. Il ne pourrait pas le supporter et, avec l'ivresse, il allait craquer d'une façon ou d'une autre. Il ne pouvait pas se le permettre non plus.

Alors, Sasuke fit ce qu'il savait faire de mieux quand il était confronté à ses sentiments : fuir.

« Je vais pisser, je reviens. »

Lorsqu'il disparut entre les arbres, il n'avait toujours pas jeté un seul regard à Naruto.

*

Naruto s'était, comme souvent, égaré dans son propre cerveau. Il lui fallut la fuite de Sasuke pour trouver la sortie, et il émit à peu de choses près le même son que Sakura quelques instants plus tôt. Profitant de l'absence de son camarade, il se tourna vers elle et s'esclaffa :

« Merde, alors ! Ça explique tellement de choses !

— N'est-ce pas ?! cria-t-elle en réponse, agitée par la révélation.

— C'est pour ça qu'il n'a jamais eu l'air intéressé par les filles !

— Encore moins par moi !

— Et c'est pour ça qu'il est si ronchon dès qu'on évoque des relations amoureuses !

— Ben tiens... Déjà qu'il ne parle pas beaucoup, ça doit être un lourd secret...