Partie 4 : Le wagon

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L'heure du départ arrivait. Je m'étais posée au sommet de la montagne pour assister au lever du soleil et pouvoir apercevoir le train partir. De là où j'étais, je pouvais voir le train en gare, attendant ses passagers, ainsi que la voie ferrée qui traversait le lac. La petite Élie, qui n'était plus si petite que ça, devait embarquer pour le premier voyage de la machine. La première traversée tant attendue des villageois. Je laissai alors mon regard paner sur le panorama qui s'offrait à moi et tournai la tête dans la direction de la ville voisine. Elle n'était pas si loin, mais un humain ne pouvait pas en dire autant. Élie m'avait bien précisé que le voyage en train ne durait que trois quarts d'heure, alors mon vol pourrait les réduire à une dizaine de minutes. Oui, ce n'était vraiment pas l'autre bout du monde.

    Après quelques minutes à contempler le paysage, j'entendis l'écho des roues du train grinçant sur les rails. En tournant mon regard vers la vallée, je pus apercevoir le nez du train sortir de la gare doucement. Des dizaines de villageois faisaient de grands mouvements de bras, saluant leurs camarades partir pour la traversée du lac. Alors que le train commençait à passer au dessus de l'eau, je m'en retournai à mes occupations et tournai le dos à la ville pour descendre de son perchoir.

    Seulement quelques minutes plus tard, les cris des passagers se firent de plus en plus forts. L'installation du train était bien une grande nouveauté pour ces humains. S'en suivit de ces brouhahas, un son strident parvint à mes oreilles. Ce n'était pas une voix, mais le grincement du fer et de l'acier s'entrechoquant sur les rails. Suite à ça, les cris les passagers, qui n'étaient pas des cris de joie, s'intensifièrent et se changèrent, pour une grande partie, en sanglots. Le voyage ne se passait pas aussi bien qu'il ne devait être prévu.

    J'ouvris alors mes ailes pour me propulser en l'air et remonter sur l'arbre ou je me tenais quelques minutes plus tôt, pour assister à une scène d'horreur... Le train était au milieu de sa trajectoire, au dessus de l'eau, le nez séparé du reste des wagons, tombant entre les barres d'acier et de bois de la voie ferrée, menaçant de plonger dans le lac. La seconde suivante, pendant que les passagers tentaient de sortir de la bête de fer et en aider d'autres, l'avant du train franchît la barrière de l'eau, pour sombrer en quelques secondes dans les profondeurs du lac.

    Élie était dans ce train.

    Mon sang ne fit qu'un tour. J'ignorais où se trouvait Élie à bord du train, mais je ma conscience me criait d'aller chercher dans les wagons qui coulaient au fond de l'eau. Sans réfléchir d'avantage, je sautai de l'arbre où je me tenais et plongeai dans le vide, tendant mes ailes le plus possible pour espérer arriver à temps. Pendant ma chute, déjà une grande partie des passagers avaient réussis à quitter le train et à s'en éloigner par les rails encore stables, revenant vers la ville. Lorsque j'atteignis le rebord de l'eau, je fis en sorte de ne pas hésiter à la vue des humains qui m'avaient déjà repéré, et continuai mon chemin à grande vitesse, frôlant presque la surface de l'eau.

    C'est au moment où j'atterris brusquement sur le toit d'un des wagons encore à l'air libre que les cris se firent encore plus forts. Personne à part Élie et ses parents ne m'avaient vu d'aussi près et seules de terrifiantes rumeurs circulaient à mon sujet. La plupart devaient penser que je profitais de la catastrophe pour mettre fin à leurs vies. Mais je n'en fit rien, laissant de côté le jugement et le regard de ces humains inconscients et regardai autour de moi.

    Je ne vis pas Élie.

    Je décidai alors de plonger à mon tour, à la suite du train. En entrant dans l'eau, j'entendis comme une voix m'appeler. Élie. Certains passagers avaient réussi à sortir du  wagon immergé et se dépêchaient de remonter à la surface. Je ne m'occupais pas d'eux, mais ne pus me retenir de culpabiliser. Élie n'aurait pas aimé me voir les ignorer. Mais à ce moment, je ne songeais qu'à la retrouver elle. Quand je pus toucher le bout du wagon, j'y plantai mes griffes de toutes mes forces, brisant le fer rouge sous mes doigts, et donnai une grande impulsion de mes ailes pour remonter vers la surface. Cela suffît à changer sa trajectoire, et il commençait à revenir vers la voie ferrée. Quelques bruits sourds m'indiquaient que plusieurs personnes venaient de plonger, et j'en déduit qu'il s'agissait des secours. Tandis que le wagon remontait petit à petit, je dégageais mes griffes de la paroi et plongea un peu plus loin, regardant à chaque fenêtre. C'est là que j'aperçu Élie, aidant un enfant à sortir du wagon, retenant sa respiration. Elle arrivait à ses limites. D'un grand coup d'ailes, quelque peu freinées par l'eau, je m'engouffrai à l'intérieur, attrapai Élie et l'enfant qu'elle tenait par le bras et ressortit par l'autre côté pour me précipiter vers la surface. Je devais me dépêcher.

    Je sortis de l'eau en éclaboussant les humains présents et empêcha ma nouvelle chute dans l'eau, gardant Élie et l'enfant hors de l'eau. Je les déposai alors doucement sur la voie ferrée encore debout, effrayants les autres passagers. Élie toussait à plein poumons, l'enfant aussi, et ils reprenaient leur souffle en se tenant la gorge. Quand elle releva la tête vers moi et que son regard croisa le mien, elle se jeta dans mes bras et me serra de toutes ses forces. Je lui rendit son étreinte, consciente du besoin de réconfort qu'elle éprouvait. Un humain adulte vint se précipiter vers l'enfant et le prit presque violemment dans ses bras, pour ensuite me lancer un regard effrayé et s'éloigner de plusieurs mètres. Je sentis alors Élie m'agripper le bras et me demander an sanglots :

    — S'il vous plaît, allez chercher les autres... Sauvez les je vous en prie !

    Je restai un moment immobile, mon regard fixé dans le sien, et réfléchis à ses paroles. Élie avait un grand coeur. Je n'avais nullement envie de sauver ceux qui m'avaient persécuter pendant des années, mais sa peur et ses yeux suppliants me firent hésiter.

    — S'il vous plait, madame l'ange...

    Les secours étaient déjà sur place, ils avaient déjà remonté plusieurs personnes, mais ce n'était pas assez rapide pour sauver tout le monde... J'eu soudain une idée, acceptant alors la demande de cette jeune fille qui m'avait toujours respecté malgré les rumeurs, et me redressai en lui lui offrant mon plus beau sourire. Me regardant m'éloigner vers là où le wagon était encore en train de couler, elle essuya ses larmes et éleva la voix :

    — Sauvez les, madame l'ange !

    Elle me l'adressai à moi, mais aussi aux autres tout autour de nous. Elle m'appelait ange pour qu'ils l'entendent.

    Je pris alors de l'altitude à grands coups d'ailes, et plongeai dans le lac. Une main tendue devant moi, j'agrippai à nouveau le fer du wagon de mes griffes et mis toutes mes forces dans ma poigne ainsi que dans mes ailes pour le remonter complètement à la surface. La pression et le poids du wagon n'aidait en rien, mais j'étais déterminée, et je ne voulais pas rompre ma propre promesse. Élie avait confiance en moi, elle comptait sur moi pour tous les sauver, alors j'allais le faire.

    Quand mes ailes entrèrent au contact de l'air au dessus de ma tête, je peinai à sortir de l'eau avec le poids du wagon. Ne prenant plus attention à mon souffle, je hurlai à plein poumons et forçai davantage sur les muscles de mon dos. Je devais créer de grosses vagues à la surface, car le bruit sourd de l'eau vint faire vibrer mes tympans. Lorsque j'arrivais enfin à sortir de l'eau, je pris à nouveau sur moi et ignorai la douleur de mon bras qui retenait le wagon de sombrer dans le lac. Je plantai alors les griffes de ma deuxième main dans le fer et forçai de plus en plus sur mes ailes pour le sortir de l'eau. Les battements de mon coeur se synchronisèrent avec ceux de mes ailes tandis qu'une partie du wagon sortait. Je n'avais jamais autant hurlé de mon éternelle existence. Et jamais je n'aurais pensé que je puisse le faire pour des humains. Qu'allait-il se passer après ça ? Allaient-ils me laisser tranquille ? Me verraient-ils toujours comme un monstre faucheur de vie ? Allais-je pouvoir vivre paisiblement sans redouter leur présence ? Je n'en savais rien...

    Lorsque vint le moment où l'entièreté du wagon sortit du lac, j'entendis Élie crier aux autres de partir de la voie ferrée afin que je puisse y poser le wagon. En effet, je n'aurais jamais la force de le déplacer jusqu'à la rive. Je rassemblai alors mes dernières forces pour apporter le wagon jusque derrière l'autre partie du train encore sur la voie, et pris toutes mes précautions pour ne blesser personne en le posant. Une fois le wagon entièrement sécurisé, je pus enfin lâcher prise et je m'écroulai sur la voie, sans une once de grâce ou de délicatesse.

    Élie accouru alors vers moi et me prit dans ses bras, essayant de ne pas me faire mal. Étalée sur le bois, je sentais mes ailes engourdies, mes bras brulants et mon pouls cognant à mes oreilles. Élie prit délicatement ma tête entre ses petites mains et la déposa sur ses jambes. Je me sentais partir, épuisée, lorsqu'elle me murmura dans un sanglot rassuré :

    — Merci pour tout.

    Une de ses larmes tomba sur ma joue quand je plongeai dans les ténèbres.


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C'est une histoire très courte 😔 Nous arrivons bientôt à l'épilogue...

Que pensez vous de cet élan prit par notre créature ?

À suivre...

L'Ange du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant