Chapitre 6

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Elle me regarde dans les yeux, je ne sais pas quoi faire. C'est toujours moi d'habitude qui décide si oui ou non je touche une personne, et là, elle me met devant le fait accompli...

J'hésite un instant, et je tends ma main à mon tour. Je m'attends à tressaillir, mais je sens seulement sa peau douce et chaude dans la mienne, et un courant électrique me remonte dans le bras. Je sers doucement, de peur de lui briser la main, tellement elle semble petite et fragile.

-Jonas, dis-je

Un petit sourire se forme sur son visage, puis elle lâche soudainement ma main, comme si elle venait d'être piquée par un insecte.

-T'as faim? me demande-t-elle.

Je m'apprête à répondre que oui, mais elle me coupe:

-Moi de toute façon j'ai faim. Je vais faire des sandwichs. T'en veux un à quoi?

"Fromage, volontiers", allais-je dire avant que, à nouveau, elle réponde à ma place:

-Jambon, de toute manière j'ai que jambon.

Bon, ben ok, va pour jambon.

Elle disparaît dans la cuisine, une petite pièce exiguë qui à l'air d'avoir été refaite récemment.

Je décide donc de visiter un peu l'appartement, et je me rends compte à mon grand étonnement qu'il ressemble énormément au mien. Même petites pièces qui communiquent toutes entre elles, même petit balcon orienté plein Est, même rangement ordonné, à l'exception d'une petite commode et d'une étagère, enseveli sous un monticule de livres, de papiers et de stylos divers... Curieux.

Dans sa chambre, son lit est lui aussi fait au carré, et une immense bibliothèque occupe un pan de mûr entier. Je suis si surpris que je n'arrive pas à bouger; il y a tellement de livres entassés que j'en ai le vertige... Certe la bibliothèque est grande, mais elle contient bien plus de livres que ce qui est prévu, et certains autres gisent par terre. J'effleure du bout du doigt les ouvrages, certains semblent actuels, d'autres bien plus vieux... Je repère quelques classiques, des auteurs connus, et des best-sellers, mais il y en a tellement... Cette jeune fille aime la littérature, ça ne fait pas l'ombre d'un pli.

Je m'apprête à sortir de la pièce, mais je tombe nez à nez avec Tiffany sur le seuil, les bras croisés. Elle me demande:

-Tu aimes lire?

J'aime lire? J'en sais rien... Oui, sûrement, mais ça fait si longtemps que je n'ai plus lu...

-Toi, de toute évidence, oui. répond-je, en éludant la question.

Elle me souris.

-Oui. Les sandwichs sont prêts!

Je la suis donc jusque dans la cuisine. Elle me tend mon sandwich et nous nous mettons à manger en silence. Je la regarde du coin de l'oeil, ses mains en particulier... Si petites... Mais un détail qui m'avait échappé tout à l'heure me saute aux yeux: ses ongles sont plus ou moins intactes, mais les peaux qui les entourent sont arrachées. Certaines forment déjà des croutes, d'autres saignent encore...
Tiffany fini son sandwich et me regarde, en se gratant avec son index les peaux de son pouce. Elle me dit:
-Bon alors, tu faisais quoi dans ce bar?

Qu'est ce que je faisais? Aucune idée. Dans ma tête, j'allais voir des potes, mais j'ai pas de potes. Et je supporte pas les filles.
-Rien. je répond.
-Réfléchis: tu venais voir des potes? Draguer?
-J'ai pas de potes, et je supporte pas les filles, dis-je tout haut ce que je pensais dans ma tête.
Elle sourit:
-Marrant pour quelqu'un qui se trouve être justement en face de l'une d'elle!

Que répondre à ça? Je décide d'ignorer son commentaire.
-Et sinon, tu vis avec quelqu'un? Un coloc? Une amie? Un petit ami? je lui demande.
-J'ai pas d'amis, et je supporte pas les garçons. me répond-elle.

J'éclate de rire, et je crois voir un petit éclair de malice passer dans ses yeux.
-Marrant pour quelqu'un qui se trouve être justement en face de l'un d'eux!
-De toute façon je suis asociable, j'ai de la peine avec les gens. Je perds vite patience.
-C'est pourtant pas l'impression que tu donnais face à ce mec tout à l'heure. T'essayais de m'aider, mais tu me connaissais même pas.

Elle ne répond pas. Soudain je crois que je viens de faire une erreur. J'avais réussi à la débloquer, et voilà qu'elle se renfermait à nouveau.
-Je suis fatiguée. Peux-tu partir?

Ce n'était pas dit méchemment. Elle ne me chassait pas. Elle aurait très bien pu dire: "peux-tu me passer un bout de pain" le ton de sa voix n'aurait pas changer.
-Bien sûr! je répond.

Je me dirige vers sa porte, et sors de son appartement. Arrivé dans la rue, je me retrouve seul dans le froid, de nouveau seul avec moi-même, et avec j'ai le sentiment que je viens de perdre la seule fille avec qui je n'ai jamais parler aussi longtemps sans péter un plomb.

Pour la première fois j'avais eu l'impression d'avoir une amie. Pour la première fois j'avais été calme en parlant à une fille. C'était comme si elle m'avais appaisé. Pour la première fois depuis longtemps j'avais ri avec quelqu'un. Pour la première fois depuis longtemps je m'étais senti bien.

Jusqu'à ce que la vie me tue...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant