Donne-moi ton nom.

8 2 9
                                    


Intrigué, je glisse à quatre-pattes sur le bureau. La nouvelle silhouette est là, allongée et endormie. Je n'entends que son souffle, rien que son souffle profond. 


J'essuie d'un revers de main mon visage. Au toucher, il est un peu rêche à certains endroits, ça doit être mes larmes séchées qui ont comme creusé deux sillons sur mes joues la nuit dernière. Après ma crise ne nerf, je me suis senti fourbu et j'ai eu très froid. J'ai alors joint mes genoux à mon torse, un peu sonné et me suis assoupi tout le reste de la nuit. A présent, je suis de nouveau en pleine forme et curieux. Surtout curieux de cette masse qui dort profondément devant moi.


Elle a troqué sa forme de créature à huit pattes pour une enveloppe semblable à la mienne. Ses cheveux sont noirs comme le charbon et sa peau oscille entre le gris et le brun, entre le cuivre et l'asphalte. Elle est toujours recouverte d'un duvet et elle dort. J'ai envie de la réveiller.


J'ai envie qu'elle me laisse plonger mes doigts dans ses boucles épaisses. 


Je fais un bond en arrière, elle bouge, remue et bâille.


- Mmh...


Son nez remue, elle inspire une énorme bouffée d'air. Puis soudain en alerte, elle se redresse en un éclair. Ses paupières sont toujours closes néanmoins. Comment va-t-elle réagir quant à sa nouvelle apparence ?


Et si elle n'appréciait pas ?


Et si elle me dévisageait en s'hérissant de tous ses poils ?


Est-ce que je sentirais de nouveau cette sueur froide dans mon échine ?


Enfin, elle ouvre les yeux. L'expression qui suit y est indescriptible : de l'émerveillement, de la peur, de la colère, de la tristesse, de la joie et je ne sais plus, trop de choses se passent dans ses iris minuscules. Je ravale ma salive.


- Bienvenue dans ton nouveau corps...


Je souris, les lèvres pincées. Je suis un peu tendu.


Elle met un temps fou à poser son regard sur moi, trop occupée à découvrir le monde hors de sa boîte sans doute. Quand nous nous regardons enfin, j'ai l'impression que mes pieds vont se fondre dans le sol. C'est presque ce qu'il se passe d'ailleurs. Je pousse un cri de stupeur. Mes orteils ont disparu sous le bureau.


- Mords-toi la lèvre, conseille l'ex huit-pattes.


J'obéis, le cœur vibrant et je touche de nouveau le sol normalement.


- Merci, je souffle.


Je n'ose pas me détacher d'elle. Même à ma taille, elle s'impose à moi. Elle fait quelques pas, jambes tendues, curieusement avide de découvrir les joies de la marche. 


Même quasi noire de la tête aux pieds, je ne vois que sa robe de chambre blanche qui l'illumine. Elle est lumineuse comme la lune qui brille fort la nuit. 


- Est-ce que ça te plaît... ?


Elle me dévisage comme si j'avais murmuré quelque chose d'insensé.


- Oui. Ça ( et désigne ses quatre extrémités ) et tout le reste me plaisent.


Deux fossettes se creusent sur ses joues. J'ai envie de rire aux éclats. J'ai envie de la prendre par la main pour la faire tourner, tournoyer dans les airs. 


- Tu m'en veux toujours dis ?


Elle lève ses cinq doigts et les contemple assidûment. Elle les plaque ensuite sur mon front, plaquant la frange contre ma peau. Je frissonne, c'est froid.


- Non. 

- Tu pourrais me donner ton nom ?

- Comment tu t'appelles ?

- Robert.

- Alors, appelle-moi Roberte.


Roberte décolle ses doigts, imprimant pour toujours en moi la marque de ce nom. Quatorze juillet. 


- Roberte...



ღ Robert et Roberte, les deux compères ღOù les histoires vivent. Découvrez maintenant