Tuyau pousse un cri d'effroi. Le petit personnage n'est plus.
Alors elle saisit une grande feuille de papier, prend une seconde fois son stylo et griffonne, trace, encre, colore et découpe.
Petit à petit, un nouveau visage resplendit, s'illumine sous la mine qui le titille doucement de sa pointe. Elle lui donne une bouche assez grande pour parler aussi fort qu'il le voudra, des petites joues pour qu'on puisse les lui pincer, les croquer, de beaux sourcils pour qu'il puisse modeler ses émotions comme il l'entendra et, plus important, deux points bruns comme des pépites de chocolat en guise d'yeux, pour voir le monde et pleurer s'il est triste un moment.
Tuyau souffle sur son protégé pour lui ôter ces débris de gomme qui lui barrent la vue. Le petit être cligne des yeux, encore prisonnier de la feuille plate, et les coins de ses lèvres s'étirent.
Le stylo l'habit, lui fait enfiler un t-shirt, un short. Et Tuyau lui gardera un manteau quand il fera froid sur un carnet à côté. Maintenant, il est de nouveau là.
*
La huit-pattes redresse sa petite tête noir. Sur le bureau barré de crayonnés et de tâches de couleurs, elle l'observe cette silhouette de papier découpé qui se met en mouvement, prudemment, maladroitement.
Il parvient à se mettre debout, ses mains aplaties tâtent une dernière fois le sol et il se lève, se tient droit, l'air hagard sur ses jambes flageolantes. Elle aperçoit les lèvres qu'il n'avait pas auparavant murmurer :
- Je me meus comme je le veux maintenant, oh quel bonheur !
Et il trottine en heureux vagabond sur cette nouvelle terre qu'il n'a jamais foulé de son perchoir. L'araignée se plaît alors à imaginer toutes ces sensations auxquels il a le droit, libéré de sa condition de naissance. Elle aussi, elle veux les goûter, et laper l'air du dehors comme il le fait. Déplier ses longues pattes engourdies à sa guise et de tout côtés pour se sentir aussi libre que tout ce qui ne demeure pas en cage.
Puis la scène devient inexplicablement moins supportable. Ses rêves s'évanouissent et l'abandonnent à sa réalité. C'est-à-dire cette vie entre quatre murs et le rien qui l'accompagne en amie fidèle : la solitude.
Comme souvent, elle se recroqueville, la tête sur ses pattes aux longs poils et cesse d'exister. Quand il faudra bien bouger un peu, elle se faufilera dans un coin de la boîte pendant un long moment.
Et elle tisse l'araignée,
Elle tricote, de fil en aiguille, elle construit.
Parfois, elle sentira une goutte humide glisser sur elle. Un quelque chose d'aussi mouillé que la fenêtre de la chambre lors des tempêtes. Et plic et ploc.
Elle cesse parfois, espère la venue de la rosée.
En vain, dans sa boîte, tout se défait.
On dirait que le jour se lève chez les autres. C'est l'heure d'aller dormir.
*
C'est une nouvelle journée qui commence pour la petite chose en deux dimensions. Et avec le soleil qui apparaît, il entame une nouvelle vie.
C'est aussi une page qui se tourne chez nos deux compères.
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ღ Robert et Roberte, les deux compères ღ
Narrativa generaleDeux grains de beauté : mes deux yeux. Tuyau, dessine-moi un nez et une bouche ! N'oublie pas mes sourcils aussi ! Je veux être expressif, je veux être beau ! Oh mais qui est-ce là bas, dans sa boîte de cristal ? C'est une bien jolie créature... Et...