Chapitre I [TW]

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[TW : scènes graphiques]

Hiver 1764 - Pays du Gévaudan, Royaume de France

Il avait beaucoup neigé cette nuit là. Un épais manteau blanc recouvrait tout le pays du Gévaudan, suscitant à la fois l'émerveillement des plus jeunes et l'agacement des plus âgés. Chacun se dépêchait de rassembler du bois pour le feu, de nourrir les bêtes plus fragiles et essentielles, et de préparer une bonne soupe de légumes qui réchaufferait tout le corps. On lisait un livre à la lumière d'une bougie, ou on jouait aux cartes pour passer le temps, complètement suspendu par l'arrivée soudaine de l'hiver.

Si chacun se terrait chez soi en profitant de la chaleur du foyer, un homme parcourait les bois. Sa silhouette toute de noir vêtue contrastait franchement avec le blanc immaculé de la neige. Cette dernière craquait sous ses pas francs et puissants, déterminés à accomplir sa mission.

Les bois devinrent de plus en plus touffus, les arbres étaient plus resserrés. L'homme commença à attaquer le versant le plus abrupte de la forêt. Malgré son excellente condition physique, le froid, la neige glissante et le peu de prises lui rendaient la tâche difficile. Son plastron de jais pesait sur sa poitrine et le poids de son sac commençait à tirer sur ses épaules. Même son arme semblait lourde, alors qu'il était réputé pour la soulever d'une facilité déconcertante et rendait jaloux les autres chevaliers.

Enfin, il arriva à la lisière de la forêt et déboucha sur un plateau. Il prit quelques instants pour souffler. Des mèches de cheveux aussi noires que les ailes d'un corbeau lui tombaient devant ses yeux aussi limpides que l'océan. Enfin, c'était ce que les marchands de passage et les dames de la cour disaient. Il n'avait jamais pu voir ce fameux océan. Il passa une main dans ses cheveux tandis que l'autre baissait le cache-nez qu'il avait mis pour se protéger du froid mordant. Aussitôt, son souffle se matérialisa sous la forme d'une buée blanche devant son visage aux traits fermés et durs, mais néanmoins empreints d'une grande beauté.

L'homme tourna sur lui-même, à la recherche d'un indice sur ce qu'il devait chercher. Sa très grande taille lui permettait de voir loin. Son instinct lui souffla de partir à l'ouest, ce qu'il fit. Au fur et à mesure de sa marche, il eut un mauvais pressentiment qui ne tarda pas à se confirmer. Dans la neige immaculée se trouvait quelque chose qui n'aurait jamais dû être là.

Une tâche rouge.

Il accéléra le pas, la main posée sur son arme, prêt à dégainer à la moindre occasion. Le vent se leva. Il apporta jusqu'à lui cette effluve si terrible et particulière, que chacun sait reconnaitre, même sans jamais l'avoir rencontrée auparavant. L'odeur de la mort.

Le plateau formait à un endroit précis une sorte de cuve. Cette dernière tenait en son sein un spectacle macabre. Des dizaines de cadavres de brebis se trouvaient là, le ventre éventré, les pattes cassées. Leur dos était tellement griffé que la laine épaisse était dispersée à même le sol. Certaines avaient même les yeux crevés, et la tête presque détachée du corps. Il y avait du sang absolument partout.

Au vu du givre qui les recouvrait, l'attaque avait dû se dérouler pendant la nuit. Finalement, l'arrivée de l'hiver était une chance : le froid permet la conservation. On pourrait mieux étudier les blessures et déterminer ce qui les a produites. C'était ce que l'homme se disait en déambulant sur le champ de bataille. Au fur et à mesure de sa progression, ses lourdes bottes se teintaient de blanc et de rouge.

Il plissa le nez. Si les cadavres avaient eu le temps de geler pendant la nuit, et ne dégageaient donc pas d'effluves, d'où venait l'odeur de mort qu'il avait senti d'aussi loin ? La réponse lui parvint presque aussitôt.

La légende du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant