La légende du Gévaudan

Chapitre VI [TW]

[TW : descriptions graphiques, accident]

L'aube venait à peine de pointer son nez dans le froid glacial de l'hiver. Au pied du manoir du comte du Gévaudan, un petit groupe d'hommes s'était rassemblé. Armés jusqu'aux dents et recouverts de lourdes armures de la tête au pieds, ils étaient réunis en arc de cercle devant les écuries, à l'abri des regards indiscrets.

Au centre de cet arc de cercle se tenait le comte, lui-même vêtu d'une tenue de chasse hivernale. À sa ceinture pendaient deux pistolets chargés, ainsi qu'une multitude de munitions rangées dans des étuis prévus à cet effet. D'ordinaire, les nobles ne se joignaient pas aux battues, sauf lors des habituelles parties de chasse à courre en temps que loisir, ou pour accompagner un invité de marque. Les soldats avaient ainsi du mal à cacher leur étonnement devant leur seigneur, ni leur crainte face à cette situation qui s'avérait de fait particulièrement dangereuse.

- Comme vous le savez, déclama le comte d'une voix forte et assurée, la Bête sévit de plus en plus dans notre région. Ses crimes sont à chaque fois plus violents, et elle s'en est même prise à l'un d'entre nous, au cœur même de notre village.

D'un regard qui se voulait discret, certains soldats se mirent à chercher la personne en question, mais sans faire mouche. Camouflé au creux des écuries, Akira poussa un soupir cynique. Il s'en voulait encore d'avoir trop bu et de ne pas avoir pu faire le poids contre cette maudite Bête. Cette fois-ci, en plus de son carquois de flèches habituel, il s'était muni d'un autre genre d'arme. D'un geste, il dégaina le poignard caché sous son plastron. La lumière se reflétait avec un faible éclat sur la lame argentée. Il espérait qu'avec cette dernière, il ne se laisserait plus surprendre comme cette fois-là.

Son œil blessait le lançait douloureusement. Le brun effleura son bandage d'un air distrait. Une question ne cessait de le tarauder : pourquoi la Bête l'avait-elle épargné ? Il était pourtant une proie tellement facile : éméché, mal armé pour le combat rapproché et tout ceci en pleine nuit, il aurait été aisé de lui trancher la gorge. Net et précis. Les taverniers auraient retrouvé son corps déchiqueté en morceaux au petit matin. Ou peut-être que cela aurait été Yoni. Il en frissonna de dégoût.

- Pourquoi te cache-tu ?

La voix rauque le fit sursauter. Il se retourna d'un mouvement vif et vit Yoni, tranquillement occupé à brosser Pandore, son étalon aussi noir que l'ébène. Pour se donner une contenance et ne pas laisser transparaitre son trouble, le chevalier réajusta sa queue de cheval.

- Je te retourne la question. Tu ne vas tout même pas prendre Pandore par ce temps ?

Pour toute réponse, le géant haussa mollement les épaules.

- J'aurais préféré. Au moins, nous aurions évité que nos traces de pas soient trop visibles dans la neige. Et puis vu tous les loups affamés qui trainent dans les bois en ce moment, un repli rapide aurait été le bienvenu.. Enfin, je me demande bien qui a décidé d'organiser une battue sans prendre en compte les données élémentaires.

Si Akira était piqué, il ne fit rien pour donner satisfaction à son jumeau. Pandore, lui, n'hésita pas à montrer son désaccord en bousculant son cavalier de sa tête puissante. Ce destrier était bien plus intelligent qu'il n'en avait l'air.

- Pourtant, nous ne pouvons pas laisser passer ce que la Bête a fait. Je crains que si nous ne réagissions pas immédiatement, qu'elle se montre davantage féroce.

- Et si au contraire elle n'attendait que ça ?

- Tu ne crois pas qu'elle soit si intelligente, n'est-ce pas ?