Chapitre V

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Adossé sur la chaise de l'infirmerie du manoir, Akira ne distinguait qu'une vague tâche blanche qui s'agitait devant lui, et un bourdonnement sourd qui parvenait difficilement à ses oreilles.

Son esprit était bien trop ailleurs pour songer à écouter les recommandations du médecin qui s'affairait auprès de son œil. À la fois paniqué et intrigué par la blessure de son patient, ce dernier n'avait rien de doux. Malgré les gestes brusques, Akira ne sentait pas la douleur. Du moins pas celle-ci.

La vraie douleur, elle venait du plus profond de ses entrailles. À la fois aiguë et sourde, elle remplissait l'intérieur de son corps petit à petit, avant de disparaitre. Puis, elle réapparaissait, insidieuse. Cycle infini. La douleur a toujours été là, d'aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir. Mais d'habitude, elle restait supportable. 

Était-ce parce que cette blessure physique faisait ressurgir en lui des souvenirs qu'il avait cru avoir enfouis pour toujours ? Cruelle illusion. Si le cerveau ne veut pas se souvenir, le corps, lui, garde tout en mémoire. Absolument tout.

Il avait déjà été blessé de cette manière par le passé. Une infection qui avait failli lui coûter la vie. C'était il y a fort longtemps. À l'époque, il savait déjà manier un arc. Pas aussi bien qu'aujourd'hui, évidemment, mais il s'en servait chaque jour. La chasse était un moyen d'extérioriser tout ce qui n'allait pas dans sa vie. Marcher dans la forêt, écouter le chant des oiseaux, suivre une piste fraiche lui apportait un grand sentiment d'apaisement. Mais c'était aussi une question de survie. S'il ne ramenait pas de gibier, c'était toute la famille qui ne pouvait pas manger.

Ils étaient issus d'une famille de forgerons. C'était un métier difficile, mais qui pouvait permettre d'avoir une vie convenable, s'il était bien exercé. Malheureusement, leur beau-père était un ivrogne sans nom, qui préférait voir son verre de cervoise bien rempli plutôt que de regarder comment il battait son fer.

C'est à ce moment là que Yoni et lui se sont réparti les rôles, qu'ils ont ensuite suivis naturellement jusqu'à l'âge adulte. Yoni était déjà grand, avec une grande force physique et une volonté inébranlable. Il apprendrait à créer des armes et autres objets, même s'il devait se débrouiller seul et épier la concurrence pour réussir.

Akira, lui, était d'une corpulence bien plus frêle que son jumeau. Mais il avait le compas dans l'œil et du talent pour se repérer en pleine nature. Les armes conventionnelles étaient bien trop lourdes et contraignantes pour lui. C'est ainsi qu'il choisit l'arc comme outil de prédilection. Léger, facilement transportable et silencieux, c'était l'arme parfaite pour lui.

Un jour, bien des années après avoir commencé la chasse, il était sur la piste du plus gros lièvre qui lui été donné de voir. Il s'était caché dans les buissons pour l'épier, et avait silencieusement décoché une flèche qui fit mouche. En sortant des fourrés, ses cheveux se coincèrent dans les branches. À cette époque, il les portait très longs, jusqu'au reins. Il faisait toujours une queue de cheval avant de partir en chasse, coiffure qui devint sa marque de fabrique par la suite, mais il n'était jamais à l'abri d'un accrochage.

Tandis qu'il dégageait sa chevelure des branchages, un rapace avait foncé sur la proie restée à terre. Akira voulu le chasser, mais l'oiseau ne l'entendit pas de cette manière. Il fonça sur l'adolescent et lui entailla le bras de ses serres. De rage et de douleur, le jeune homme se jeta sur le cadavre du lièvre encore chaud. Le gibier était rare, il était hors de question qu'un vulgaire volatile le lui arrache.

L'oiseau revint plusieurs fois à la charge, tachant un peu plus l'habit du jeune homme de rouge. Heureusement, il se lassa le premier. Akira se leva en tremblant, la vue trouble. Il avait regagné le village en titubant, le lièvre coincé sous son bras meurtri.

La légende du GévaudanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant