Certaines personnes dans la vie semblent nous définir. Comme si chaque être était forgé à partir d'un morceau de toutes les personnes qu'il a aimé, rendant ainsi tout le monde un peu identique.
Pour ma part, je n'ai su aimer qu'une seule et unique personne. Cela me rend-t-il identique à lui ? Peut-être est-ce pour cette raison que ma personnalité est si pauvre ?
Il a sans doute beaucoup aimé, avec passion et sincérité pour que son âme soit si attrayante.
Il saute avec légèreté au rythme rapide d'une musique je ne saurais nommée mais qui force l'excitation. Les yeux clos, il semble complétement absorbé par le son agressif qui s'échappe des enceintes et qui s'évapore lentement dans l'air, une bouteille d'alcool pur dans la main comme seul accessoire, il se laisse glisser peu à peu dans le labyrinthe de son esprit, acceptant peut-être inconsciemment de se noyer dans celui-ci.
Il se contente juste d'approcher le goulot de sa bouche et de laisser couler le liquide jusqu'au fond de sa gorge, de temps à autre, quand ses pieds ont du mal à le tenir debout.
Je passe la cigarette déjà bien entamée entre mes lèvres et aspire la fumée mortelle qui sonne, dans ma tête, comme une façon quelconque de rester vivante.
Comment imaginer qu'un être, aussi improbable soit-il, puisse être capable de sauver une vie sans même s'en apercevoir ? Lui l'a fait.
Tout est parti de rien et quand le temps sera venu, tout deviendra rien.
Parfois l'humain donne son dernier souffle en ne laissant rien de plus que son souvenir à la Terre. J'aurais pû être cet humain mais finalement je n'étais peut-être pas destinée à rendre à l'âme avant lui. Ou alors n'avais-je simplement pas pris assez de substances mortelles et trop peu décoré mon corps d'entailles sanglantes pour y rester ? Je ne le saurais jamais.
Une chose est sûre : je ne regrette pas qu'il m'ait trouvé, ce jour-là, étendue sous ce pont, inconsciente et couverte de sang. Je ne regrette rien le concernant.
Il s'assit sur le tabouret bancal à côté du mien, sa peau brillant de sueur sous les projecteurs colorés et pose ses lèvres abimées de m'avoir tant embrassé sur les miennes.
-Je t'aime, murmure-t-il dans un souffle avant de m'embrasser de nouveau.
Dans quelques heures à peine, le soleil apparaitra et m'éloignera un peu de mon amour pour une journée, jusqu'à la nuit prochaine. Quelques heures que nous ne perdrons pas inutilement, quelques heures à se retourner sous les draps confortables d'un petit lit abject, quelques heures que je passerai à observer ses magnifiques traits dans cette chambre d'hôtel étroite qui sera, un jour, remplacée par un appartement plus petit encore, dépourvu de meubles par manque de moyens mais qui sera baillé au nom que nous partagerons.
Dans quelques heures, quand la vérité me rattrapera brusquement, je repousserai ses cheveux tombés sur son front encore humide de passion puis, à contre cœur, je m'éloignerai de son corps et sortirai de ce lit qui est, à mon regard, le paradis sur Terre. Je prendrai garde à ne pas renverser les bouteilles d'alcool vides, à ne pas marcher sur le reste des joins de la veille et à ne pas bousculer les verres encore à moitié plein sur la lingerie blanche qui traînera au sol, comme chaque matin.
VOUS LISEZ
Déraison
ContoVictimes d'une société qui les range dans la case des indécents, ils préfèrent qu'on les qualifie comme libres.