7. 𝐉𝐮𝐬𝐭𝐞 𝐞𝐥𝐥𝐞

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Elle avait tout, elle était tout. Le juste milieu, le mélange parfait, ni de trop ni pas assez. Elle était mon égale.

Elle était égoïste, trop concentrée sur sa propre personne pour voir le reste, elle manipulait son prochain pour obtenir ce qu’elle voulait, elle était même parfois méchante et cruelle, elle était tellement imbue de sa propre personne qu’elle ne voyait même pas qu’elle était insupportable et capricieuse.

Et malgré tout, malgré ses défauts, malgré sa folie démesurée et son manque de raison continuel, malgré son narcissisme éternel et son insolence perpétuelle, malgré son insatiable besoin de danger et sa fascination ridicule pour les actes qu’elle aimait qualifier de poétiques, elle était ma flamme.

Seulement la mort a soufflé dessus et j’ai cessé de briller.

J’aurais préféré la haïr, tout aurait été plus simple si je l’avais détesté autant que le monde la détestait.

Elle n’avait jamais mérité mon amour mais peut-être que moi non plus je ne méritais pas le sien.

Tout avait pris fin comme ça avait commencé. Son corps étalé à terre, ses yeux noirs clos, sa peau pale, la boite de médicaments vide un peu plus loin sur le sol, le sachet de drogue et la poudre éparpillée par le courant d’air, ses cheveux noirs baignant dans une mare de liquide carmin, son corps entaillé de part et d’autre et son pouls imperceptible, seulement le pont avait été remplacé par la minuscule salle d’eau de cette chambre d’hôtel lugubre que j’appelais « chez nous ».

La même apparence que la première fois que je l’avais vu, seulement cette fois-ci c’était la dernière fois.

Elle m’avait dit explicitement lors de notre première discussion, après que je l'ai ramené à l'hôpital et qu'elle ait défié la mort un nombre incalculable de fois, qu’elle ne voulait pas survivre, qu’elle recommencerait son acte quand le moment serait arrivé, qu’elle voulait mourir jeune. Simplement, je ne pensais pas que le moment était si proche. Ou peut-être espérais-je que mon amour lui donne une raison à la vie ? Je n’en sais rien.

Je laisse glisser lentement la dernière gorgée d’alcool et profite une dernière fois du goût amer de cette boisson que j’ai un peu trop consommé puis laisse tomber la bouteille derrière moi.

J’attends qu’elle finisse de rouler en faisant crépiter le gravier sous elle avant de finalement me lever.

Je pourrais regarder en bas et voir les voitures devenues minuscules à cause de la hauteur mais les entendre me suffit. Je me contente de fixer l’immensité de l’univers au-dessus de ma tête en me concentrant sur chacun de mes sens une dernière fois pour ne rien oublier de ce qu’est la vie.

Rien n’est agréable en fait.

L’odeur nauséabonde de la ville, le goût de l’alcool mélangé à la drogue que je ne consomme que par habitude, le bruit incessant de la vie monotone juste sous mes pieds, le vent glacial qui calcine ma peau. Seul le ciel semble savoir qu’aujourd’hui je l’observerais sans elle. Le temps est maussade et les nuages noirs reflètent l’iris de ses yeux que je ne verrais plus.

-Ne faites pas ça.

Je tourne le regard vers un homme que je n’ai pas envie de décrire tant il m’est futile.

-Je ne ferais rien.

Ce n’était pas un mensonge, je ne ferais rien. Elle tenait mon âme dans sa main et elle l’a emporté avec elle. Elle ne s’est pas seulement tuée hier soir, elle m’a tué aussi.

Je descends du petit muret et l’homme semble soulagé de me voir choisir la vie quand la mort est atteignable à n’importe quel moment.

Mon âme est morte, mon cœur aussi et mon être tout entier n’est pas loin de les rejoindre alors je suis déjà presque mort. Je ne tuerai pas mon corps ce soir. Je le ferais bientôt, mais pas ce soir.

Je préfère encore sentir mon être agonisé de l’intérieur plutôt que de risquer de l’oublier en rejoignant la mort.

DéraisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant