5| Le front d'Arvaless

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Acnologia était de retour sur le site de sa première bataille, et ne savait pas vraiment comment gérer les odeurs fantômes de sang qui l'assaillaient, les images d'horreur, quand il passait à côté d'un endroit où il avait pour la première fois vu la mort à l'œuvre. Heureusement, il y revenait en tant que lieutenant sous les commandes de Guildarts, et cela lui donnait droit à un cadre de vie bien différent. Ainsi, seul dans une tente de taille respectable, il pouvait presque imaginer que c'était un endroit totalement différent, qui n'avait rien à voir.

S'il se réveillait en pleine nuit avec les sons d'une alarme résonnant dans les oreilles, ou la distincte impression du sang sur la langue, il laissait couler. Tout allait mieux quand le jour se levait, et personne ne remarquait. Prétendre avait toujours été un de ses talents les plus utiles. Quand on commandait tout un groupe de soldats, il s'avérait une affaire de survie.

Personne ne devait jamais savoir comment les cris mourraient sur ses lèvres au plus sombre de la nuit, ou que ses rêves étaient tous de cheveux blonds maculés de sang dans le sable de la frontière.

Il n'avait pas vu Anna depuis plusieurs mois, une première. Depuis ses cinq ans pas une semaine ne s'était passée sans qu'elle ne soit collée à lui -forcée par leurs parents respectifs, bien entendu, mais tout de même. Cette absence le laissait étrangement vide, il sentait que quelque chose manquait.

Quelqu'un pour le rappeler à l'ordre, lui dire de ne pas se battre avec le premier venu à l'insulter. Quelqu'un pour le provoquer, le garder alerte, et lui changer les idées. Une présence familière devenue synonyme de maison dans cette terre étrangère, qu'aucune compagnie n'arrivait à remplacer.

S'éloigner avait pourtant été une bonne décision, et Acnologia s'était persuadé qu'avec le temps, l'activité quelque peu chaotique des lignes de front, il ne penserait bientôt plus à celle qu'il avait commencé à appeler amie. Mais voila, environ seize semaines plus tard, il était allongé dans son lit de camp à rêvasser de tout ce qu'il aurait pu faire pour éviter de se retrouver avec cette nostalgie dont il ne savait que penser.

Il aurait pu écrire une lettre, peut-être. Au moins pour lui dire qu'il n'était pas mort.

Enfin, elle avait forcément été informée de sa promotion. Anna ne s'inquiétait sûrement pas plus que ça. Serait-ce différent s'il lui racontait le changement de champ de bataille, et les voix dans la nuit ? Que lui aurait-elle dit de toute manière ? De ravaler sa sensibilité et de cesser de faire l'enfant, que c'était le lot de tout soldat, de la vie qu'ils avaient choisi, probablement.

Les Dieux savaient à quel point elle avait souffert en silence sans jamais rien laisser transparaître juste pour gagner le droit d'être respectée. Il avait eu une carrière plus facile, plus traditionnelle aussi. Son nouveau rang, il l'avait gagné dans le sang et les explosions du front de Doralmia. C'était ce pourquoi il y avait tant de volontaires, aussi étonnant que cela puisse paraître.

Les hommes mourraient si rapidement, il était facile de monter en grade au sein de l'armée de Fiore. Guildarts en était la preuve vivante, à seulement trente-deux ans, et déjà au poste le plus haut qu'il était possible d'atteindre sans faire un coup d'État.

Acnologia était déjà le troisième adolescent à atteindre cette position, comme le lui avaient très délicatement fait remarquer ses soldats. Il considérait survivre, par pur esprit de compétition, pour prouver qu'il serait le dernier. Mais les murmures enflaient, et le jeune homme était loin d'être stupide. Il savait que si sa division avait été transférée ici, c'était parce que les effectifs manquaient. Ils étaient de la chair à canon destinés à tenir le fort juste pour que les véritables renforts arrivent tout droit de la capitale.

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