4| La montée en grade

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Anna était fière de ses nouvelles épaulettes, fière de la médaille épinglée à son uniforme. Elle était fière des regards qui la suivaient avec un intérêt et une frayeur différente de ce qu'elle avait inspiré auparavant. Elle était un peu moins heureuse de tout ce que cela impliquait.

On la qualifiait peut-être de leader née et d'un tas d'autres compliments idiots, elle détestait sa nouvelle position. Donner des ordres, savoir se faire écouter, masquer ses émotions, être en représentation permanente, elle ne l'avait pas dans le sang comme s'était une fois exclamé Guildarts. Elle l'avait appris, au cours de longues années au milieu d'une Cour autrement moins bienveillante que celle de Fiore.

Et elle détestait que ces enseignements la suivent, pire lui soient utiles, dans cette nouvelle vie qu'elle essayait de se créer. Savoir que ces compétences étaient une des raisons principales pour sa montée en grade lui donnait envie de vomir.

Pourtant elle avait accepté dès que l'opportunité lui avait été présentée. Évidemment qu'elle avait accepté, seul un fou refuserait une promotion pareille, un rang de lieutenant, seulement un an après être rentré dans l'armée. De plus, avec venaient un nouveau dortoir bien plus confortable et la possibilité de regarder de haut tous ceux qui avaient méprisé l'adolescente trempée jusqu'aux os qui avait passé les portes du palais pour se porter volontaire tous ces mois plus tôt.

Rien encore ne s'était prouvé aussi satisfaisant que donner des ordres et voir des gens la haïssant n'ayant d'autre choix que de les suivre. C'était peut-être un peu sadique comme état d'esprit, à bien y réfléchir, mais elle avait passé trop de temps entourée de cruauté. Un peu de cela avait forcément déteint sur elle.

Cependant elle ne s'occupait pas que de diriger les soldats ou superviser les entraînements. On l'avait aussi chargée des réfugiés en provenance de Doralmia. Elle ne savait pas trop pourquoi exactement, se demandait si ses origines étaient si claires que cela, mais avait accepté la nouvelle tâche avec gratitude. Deux gamins de treize ans étaient arrivés une semaine auparavant, Rogue et Sting. Elle s'assurait qu'ils avaient tout ce dont ils avaient besoin, et qu'ils étaient aussi protégés qu'ils pouvaient l'être quand tout autour d'eux n'était que violence et guerre. Tout pour s'éloigner, même l'espace d'un instant, de la violence des combats.

Ils venaient de rentrer de nouveau dans une phase active de la guerre, et il ne se passait pas une semaine sans qu'une bataille éclate aux frontières. Acnologia y avait été dépêché, mais elle préférait ne pas y penser. Ils ne s'échangeaient de toute manière pas de lettres, elle n'avait pas moyen de savoir ce qu'il advenait de lui tous ces kilomètres loin de Crocus. Sa promotion avait changé beaucoup de choses, sa relation avec l'adolescent étant l'une d'elle.

Peut-être était-ce l'esprit de compétition, ou l'angoisse permanente. La peur de la mort qui leur avait fait réaliser que le plus on tenait à quelqu'un le plus on pleurait sa perte. Mais tous les progrès faits dans ce bateau en direction de Fiore, tout ce rapprochement effectué durant leur entraînement, tout cela était effacé. Parfois, Anna se demandait même si elle n'avait pas rêvé leur amitié. Ils étaient de retour à la case départ, l'hostilité et la compétition incessante. Cette fois-ci en revanche personne ne les forçait à passer du temps collés ensemble, au contraire même, beaucoup les éloignait.

Il en résultait qu'ils ne s'étaient pas adressé la parole pour autre chose qu'un défi depuis un mois entier.

Anna avait toujours su que quelque chose entre eux était trop changeant, trop brusque, pour que les émotions tiennent longtemps. C'était ainsi depuis leur enfance après tout. Mais elle se sentait presque triste de ce revirement de situation. Il aurait fallu la torturer pour le lui faire avouer, mais parfois elle se surprenait à le chercher des yeux au réfectoire pour lui faire part d'une anecdote, avant de réaliser qu'il n'y était pas. Et que de toute manière elle n'aurait pas pu lui parler.

Foutue histoire de hiérarchie.

Elle en était donc réduite à diriger un bataillon, coincée à la Cour, lisant chaque jour les reports du front que Métalicana lui donnait à trier. Le trentenaire avait perdu un œil durant leur dernier combat près de l'Océan, et désormais passait tout son temps à tenter de compenser la perte de toute une partie de sa vue périphérique par un entraînement rigoureux. Il lui déléguait donc certains de ses devoirs, et honnêtement elle n'en était pas dérangée. Elle en apprenait ainsi beaucoup plus sur la stratégie militaire que leur souverain essayait de mettre en place, aidé de sa garde personnelle. Métalicana était un de ses rares amis, lui rendre service lui faisait plaisir.

Passer ses soirées à jauger la quantité de vivre nécessaire pour tel ou tel front actif l'empêchait de trop ressentir la solitude, ou d'écouter la voix dans sa tête qui lui disait que déserter n'était pas une idée si terrible pour retrouver un semblant de liberté. Être bloquée au palais pour ce qui lui semblait des mois interminables ne lui réussissait pas, elle n'avait jamais été du genre à rester en place bien longtemps.

Mais elle s'efforçait de calmer cet instinct par de durs exercices qui la laissaient épuisée et vidée de ses pensées les plus sombres. Certaines recrues commençaient cependant à prendre exemple sur elle, à se lever tôt pour profiter des équipements en dehors des horaires les plus fréquentées. Pour la solitude, c'était loupé.

Anna ne détestait au fond pas tant que ça ses nouvelles responsabilités, et appréciait ses nouveaux supérieurs hiérarchique, de son avis bien plus sensés que les derniers. Mais elle regrettait presque d'avoir à peine eut le temps de s'habituer à la vie de simple soldat avant d'être propulsée dans un nouveau rôle qui lui demandait encore de s'adapter à tout un tas de nouvelles règles, à un nouveau rythme de vie. Sans parler du mensonge de ses origines qu'elle devait maintenir, probablement au prix de sa place dans les rangs de Fiore. Rien ne la terrifiait plus que l'idée d'être démasquée, aussi comptait-elle grimper les échelons le plus vite possible avant que cela arrive.

Ainsi, si quelqu'un creusait un peu trop loin dans son passé et y découvrait la vérité, elle serait suffisamment puissante pour étouffer les rumeurs, ou suffisamment indispensable pour qu'on n'ose pas prendre de mesures contre elle, la laissant paisiblement tracer son chemin.

Elle supposait que c'était normal pour un pays en guerre depuis quatorze ans, mais la paix chaque jour lui semblait de plus en plus impossible à atteindre.

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