Chapitre 2

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– Mois de la Vertu, en la troisième année de règne du roi Bahram Ier –

Rien de ce que je suis ne convient. Je dois m'oublier et devenir ce que l'on attend de moi : un trésor. Un bijou qui orne la couronne du roi. Je dois être polie et lustrée à la manière d'une gemme brillante qui rehaussera sa gloire. Je n'ai envie de rien, si ce n'est de lui plaire. Je ne possède plus aucun désir, si ce n'est de lui convenir. Aimer un roi, c'est se renier soi.

– Extrait du recueil Mémoires de Concubines

***

Les pépiements légers des oiseaux avaient disparu. Il n'y eut que le sifflement du vent qui s'engouffrait sous la porte de sa chambre pour réveiller Ehsan. Le soleil n'était pas encore bien établi dans le ciel, seuls quelques rayons timides tentaient de percer les moucharabiehs. Le calme régnait dans le sérail. Lui parvenait uniquement le son feutré du pas des eunuques et des servantes. Ils préparaient les bains avant que le harem ne s'éveille.

Les jacasseries, les rires et les cris qui retentissaient communément ici n'avaient cessé que très tard, ou très tôt. Les femmes d'ici étaient des oiseaux de nuit. Elles dormaient la journée et s'activaient le soir venu dans l'espoir que le prince les convoque pour réchauffer sa couche. Assurément, Ehsan devrait s'adapter, sans quoi elle ne tiendrait pas longtemps avec si peu d'heures de sommeil. Or, pour le moment, elle vivait au rythme des horaires que Shahin et Zakaria lui avaient imposés pour sa formation.

Cela ne faisait pas deux jours qu'elle était retournée à la Porte du Roi et son quotidien paisible, loin de la cour, lui manquait déjà.

Son entraînement n'était pas achevé ; il lui restait beaucoup de choses à apprendre pour être utile à Shahin et pour posséder toutes les cartes en main afin d'exécuter sa vengeance. Néanmoins, elle ne percevait pas comment tout ceci allait pouvoir s'accomplir correctement maintenant qu'elle se trouvait enfermée ici. Elle devait revoir ses plans.

Ehsan voulut profiter du fait que toutes les concubines soient encore endormies pour inspecter cette vaste bâtisse que personne n'avait pris la peine de lui faire découvrir. Et les quelques domestiques qu'elle croisa quand elle sortit de ses appartements ne lui en offrirent aucunement la possibilité.

Peu importait, elle irait seule. Son sens de l'orientation ne s'avérait pas mauvais et elle comptait sur ses dernières visites pour l'aider à réaliser un plan mental plus précis.

Elle commença par le patio. C'était certainement l'endroit le plus lumineux de tout le sérail. Ce lieu était un délicieux mélange entre un jardin et un salon de thé. Au centre de la cour, un imposant palmier surplombait un parterre de fleurs chamarré. Le clapotis de l'eau des fontaines, disposées aux quatre coins de la pièce à ciel ouvert, poursuivait son chant à travers les rigoles qui entouraient la végétation. Là où il n'y avait ni ruisseau ni plante s'étalaient de somptueux tapis cobalt, rouges et pourpres. Tout autour s'élevaient des superpositions de balcons. Ils donnaient sur les appartements des Femmes et des concubines. Combien y en avait-il ? Combien de femmes logeaient ici ? Et combien avaient connu les bras de l'héritier ?

Tandis qu'elle découvrait la seconde moitié du harem, Ehsan fut prise de tournis. La succession de chambres paraissait infinie. Combien de femmes Shahin possédait-il ? Cela en devenait malsain. Même si chaque appartement n'était pas occupé, le sérail avait été conçu à la mesure de l'appétit charnel des ancêtres de Shahin et cela lui parut effrayant.

Elle poursuivit son chemin et progressa davantage à travers l'aile ouest. Elle croisa plusieurs domestiques qui évitèrent son regard en pressant le pas. Elle se surprit à dévisager tous les eunuques qu'elle rencontrait, dans l'espoir d'y reconnaître Benyamin.

La Porte du Roi : Entrave Scellée - Tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant