AlexT47-A Ou La Théorie de l'Intelligence Naturelle *Delve Deeper 2021*

Chapitre 4

- Alors, je peux venir avec toi ?

Cet androïde m'exaspère. Je lui ai expliqué une bonne vingtaine de fois que je voulais aller m'amuser et non babysitter un novice qui n'a aucune idée de comment se comporter en soirée. Je l'imagine déjà raide comme un piquet en plein milieu d'une piste de danse, avec son sourire en coin, à répéter d'une voix mécanique comment il s'appelle. Pourtant, il ne lâche pas l'affaire. Sa devise "où tu iras, j'irai" résonne comme un disque rayé dans mon esprit. Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir faire en soirée ?

Comme s'il lisait dans mes pensées, le blond me dit les yeux étrangement lasses :

- J'ai vraiment envie de voir du monde. Les seules personnes que je connaisse sont tes grands-parents, il fait la grimace, tu comprends que je veuille sortir un peu.

- Qu'est-ce que ça peut te faire d'avoir des amis ?

C'est vrai ça. Un ordinateur n'a jamais pu ressentir d'émotions. Or, je ne suis pas un expert en philosophie, ni en sciences, mais il me semble que pour ressentir de l'amitié... et bien il faut déjà pouvoir ressentir une émotion. Il passe une main dans ses cheveux et se rapproche de la porte d'entrée.

- Juste ce soir. Si je ne m'insère pas, je ne t'embêterais plus.

Mes yeux font des allers-retours entre lui et la porte. Si je veux mon argent, il me faut son affection. Mais pour ça, il faudrait déjà que je sache si son circuit filaire est capable par je-ne-sais quelle magie de lui faire ressentir quelque chose qui se rapproche d'un sentiment. S'il peut s'amuser, je suppose qu'il m'en sera reconnaissant. Ça devrait suffire, ou tout du moins je l'espère. J'acquiesce de mauvais cœur et le laisse sortir en regardant son pas raide. C'est étrange comme il peut passer de manies humaines à une attitude mécanique si rapidement.

Le trajet jusqu'à l'appartement de Mac et Jesy, les deux plus gros fêtards du campus, se fait dans le silence le plus total. AlexT47-A reste derrière moi, les mains dans les poches, le regard parcourant le paysage comme pour tout cartographier. J'ouvre la marche la tête rentrée dans les épaules : je rumine sur tout ce qui me tombe dessus. Comme si attendre trois ans de plus pour enfin pouvoir montrer au monde entier que je ne suis pas juste le voisin d'à côté ne suffisait pas, il faut que je sois confronté à un problème informatique majeur.

Je n'ai jamais aimé la technologie à l'école. Certainement à cause de l'image de mon père qui passait des heures dans son bureau top-secret. Il fut une époque, il était vraiment là. Je m'en souviens vaguement, ce sont comme des photos accrochées au mur de ma mémoire. Mon père me faisant voler dans le ciel en m'élevant dans les airs. Mon père m'aidant à attraper un poisson. Mes parents, Abi et moi, en train de pique-niquer sur une berge. Mon père m'apprenant à fabriquer une voiture télécommandée...

Il s'est effacé petit à petit, à partir de mes sept ans. Pourquoi ? Je ne le saurai probablement jamais. Je ne devais pas être assez bien pour lui. La preuve en est le robot qu'il a créé, à l'image du fils idéal qu'il n'aura pas eu, j'imagine.

Un son électro fait vibrer la porte d'entrée lorsque l'on franchit le seuil du grand duplex. Les deux rois de la sono organisent régulièrement des soirées et profitent de la porte qui communique entre leurs deux logements pour doubler la surface de la boîte de nuit improvisée. Je laisse la musique s'infiltrer en moi et mon corps, baigné de cette ambiance qu'il aime tant, se détend sur le champ. Je décide d'oublier l'ombre qui me suit et m'enfonce dans la foule.