Chapitre 2.2

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Aux dernières heures de la nuit, l'effervescence du siège s'était diluée dans l'épuisement des hommes. Des monosyllabes rauques et des hochements de tête entendus avaient remplacé les hurlements et le fracas des épées. Les soldats blessés avaient été évacués. Les cadavres des gardes s'empilaient dans des charrettes, derrière la muraille aux portes enfoncées.

Tel un fantôme errant dans les couloirs aux relents ferreux, Bargald traversa l'aile des nobles et gagna les appartements royaux. Réveillé par ses angoisses, le duc de Corance cherchait des réponses.

L'étrange tranquillité qui s'était imposée dans les entrailles du palais lui arracha un sourire triste. Cet instant coincé entre deux jours, entre un règne et le suivant, avait quelque chose d'irréel.

Une toux grasse tira Bargald de ses pensées. Au détour du couloir menant à la chambre du défunt monarque, il tomba nez à nez avec Hagold Moronard. Le duc de Sorgone s'était affalé dans un sofa et fixait les lourds battants sculptés qui le séparaient des appartements de Todvis, les coudes posés sur les genoux.

— Hagold ? Que faites-vous ici ?

Le Sorgonète sursauta et se redressa aussitôt.

— Je ne voulais pas vous faire peur, s'excusa Bargald. Je croyais que vous m'aviez entendu.

— Ce n'est rien. Je ne m'attendais pas à avoir de la visite à cette heure-ci.

Le duc de Corance jeta un œil intrigué à la porte qui accaparait l'attention de son semblable : un bois chantourné précieux, mais sans la moindre particularité.

— Je crois que j'ai du mal à réaliser qu'il est enfin mort. Todvis, précisa Hagold. J'ai du mal à me persuader qu'il ne pourra plus jamais franchir le seuil de cette pièce.

Bargald esquissa un rictus compatissant.

— Rien d'étonnant à cela. Vous avez été proches, par le passé, si je ne m'abuse.

Le double menton du sexagénaire trembla. L'insulaire devinait qu'il s'agissait bien plus de nervosité que de chagrin.

Alors même que son fils aîné était fiancé à l'héritière du trône, le seigneur ouestarin avait rejoint les armées rebelles juste avant qu'elles ne marchent sur Virda. Ce revirement l'avait réconcilié avec les Virdemis et les Carmidor et avait précipité la fin de la guerre. Mais tout alliés qu'ils soient, leur confiance mutuelle demeurait fragile.

— Et vous ? s'enquit Hagold. Que faites-vous ici ?

— Je viens fouiller dans les affaires de Todvis.

La bouche du Sorgonète s'ouvrit sous l'effet de la surprise.

— Que cherchez-vous ?

L'insulaire haussa les épaules.

— Je n'en sais trop rien. J'aimerais comprendre comment Todvis en est arrivé aux extrémités qui l'ont conduit à sa perte. J'espère que sa correspondance ou les finances de Goragna m'apporteront des réponses.

Hagold pencha la tête sur le côté, perplexe.

— Si c'est réellement ce que vous cherchez, vous devriez plutôt fouiller le bureau royal.

— Non, infirma Bargald. Todvis a été trahi par plusieurs alliés. À sa place, je serais devenu extrêmement méfiant.

Le duc de Sorgone se mordit la joue.

— La seule personne à qui il a pu faire confiance jusqu'à la fin, c'est la reine Morgat, poursuivit l'insulaire. Où conserver ses documents les plus précieux, si ce n'est dans la chambre que l'on partage avec sa plus fidèle amie ?

Les Carmidor - T1 : Trahir et Survivre [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant