Chapitre 2.1 - Les deux rois

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An 1310 après l'Engloutissement – Un an plus tard

— À mort, à mort !

Les cris des Virdans résonnaient dans la capitale rubisienne depuis plusieurs heures, écho aux grognements essoufflés des soldats. Le sang des vaincus coulait à flots et se mêlait à la sueur des vainqueurs. Partout dans la ville, les habitants proclamaient déjà la victoire des assaillants, alors même que la famille royale était toujours retranchée dans le palais.

La nuit venait de tomber. Une légère brise soufflait sur les visages crasseux des combattants et chassait la chaleur étouffante qui régnait à Virda en cette journée d'été.

Rehard Virdemis, celui que l'on appelait désormais Rehard Ier, s'avançait d'un pas décidé vers l'entrée principale du palais. Il n'était pas particulièrement grand, mais son allure assurée le rendait aussi imposant qu'un géant. Ses traits durs tranchaient avec l'ovale de son visage et les fines boucles presque enfantines que l'on devinait dans ses cheveux châtains coupés courts.

Ses soldats s'affairaient à enfoncer la grande porte avec un bélier à tête de fer. Leurs halètements et les craquements du bois étaient rythmés par les encouragements que leur hurlait leur chef, Agabeld, un large blond haut de deux mètres.

Ce dernier se tourna vers Rehard dès qu'il le vit s'approcher et s'inclina.

— Majesté, la porte est sur le point de céder.

— La victoire n'a jamais été si proche, se réjouit-il. Notre guerre s'achèvera cette nuit en même temps que la vie de Todvis.

Agabeld opina avec ferveur.

— Je n'oublierai pas le rôle que tu as joué. De tous nos chevaliers, tu as été le plus valeureux. Tu n'as rien à envier aux nobles qui ont combattu à tes côtés : tu les as tous surpassés. La prise de Virda est ton œuvre.

— Je n'ai rien accompli d'héroïque, Majesté, protesta Agabeld. J'ai juré de vous servir, et c'est ce que je m'efforce de faire. La prise de Virda, c'est votre victoire : le peuple a ouvert les portes en vous apercevant.

La main gantée du roi choqua la spalière du chevalier en un geste amical.

— Tout de même : la cité millénaire n'était jamais tombée aussi vite. Tu nous as aidés à sauver de nombreuses vies. Rien ne justifie davantage de devenir général...

Les prunelles du chevalier luirent d'une étincelle de fierté. Une étincelle, une flamme, puis un brasier. Rehard Virdemis venait de faire de lui, un fils de charpentier, le chef de ses armées.

— Votre Majesté, c'est un immense honneur...

Alors qu'il prononçait ces mots, la double porte céda sous l'impact du dernier coup de bélier. Des hordes de soldats s'engouffrèrent aussitôt dans l'ouverture.

Le roi adressa un signe du menton à son général : ses remerciements pouvaient attendre. Sans hésiter, le chevalier se rua à la suite de ses hommes.

Quelques membres de la garde royale frémissaient devant les escaliers menant aux appartements du souverain déchu. Dans un ultime sursaut de courage, ils se précipitèrent vers les assaillants et hurlèrent le nom de Todvis. Ce fut leur dernier cri.

Non loin, Rehard s'engagea à son tour dans le palais. Il enjambait les cadavres et ne s'arrêtait que pour achever les soldats à l'agonie. Ses iris gris scrutaient l'intérieur du palais, où le luxe indécent jurait avec l'extrême dénuement des quartiers pauvres de la capitale. En dépit de leurs finances désastreuses, les Arvagna ne s'étaient pas départis des nombreuses toiles de maître à leur effigie et des tapisseries ornées de l'hermine blanche, symbole de leur maison, qui habillaient les murs ocre rouge. Ils ne s'étaient pas non plus séparés des meubles rehaussés d'or, chefs-d'œuvre d'artisanat, dont les matériaux nobles à eux seuls auraient pu nourrir une centaine de Rubisiens.

Les Carmidor - T1 : Trahir et Survivre [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant