Chapitre 3.1 - Le sang de l'hermine

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Le crépuscule s'emparait des terres gorandines au terme d'une énième journée caniculaire. Le duché ouestarin, habitué à la grisaille et à la pluie, s'était accoutumé à ces épisodes de chaleur dignes du sud du royaume. Un vent frais soufflait désormais sur Goragna. Du haut de ses remparts, Dista Arvagna sentit sa peau poisseuse se couvrir de chair de poule.

L'angoisse qui étreignait son cœur endeuillé en était la cause la plus probable, mais elle répugnait à l'idée de trembler de peur. Un héritage de sa mère. La seule chose qui lui restait d'elle. La gorge de Dista se serra. Elle n'avait même pas pu lui dire adieu.

La princesse vivait à Goragna depuis plusieurs années. Officiellement, Todvis l'y avait envoyée pour la préserver de la fourberie de la cour. En vérité, elle avait été exilée avec son frère bâtard pour inciter Morgat à remplir ses devoirs conjugaux avec plus d'enthousiasme. Malgré cela, Dista n'avait eu aucun frère légitime et n'en aurait jamais.

Une dizaine de jours plus tôt, elle avait brûlé la lettre lui annonçant le décès de ses parents, mais c'était elle qui se consumait de chagrin. Ses iris azurins se perdaient dans la contemplation du ciel rougi par les feux : ceux de la révolte des faubourgs contre l'envahisseur lorsisain.

Ses sujets affrontaient les armées de l'usurpateur. Fourches contre épées, le combat tournait au massacre. Entre l'orpheline et l'horizon amarante, les troupes félonnes se préparaient pour l'ultime assaut.

La princesse luttait contre l'envie de fermer les yeux. Se soustraire à la réalité, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, lui paraissait une trahison. Envers son peuple, envers sa mère, envers elle-même. Tout juste s'autorisait-elle à ciller lorsque son regard s'embuait de larmes.

Au sommet de son château, Dista assistait, impuissante, à l'avancée des trébuchets vers ses murailles. Au loin, telle une insulte, les bannières des vassaux de son père flottaient dans la brise venue du nord. La jeune fille avait écrit à chacun d'entre eux pour les supplier de défendre leur duché contre les Virdemis : pour seule réponse, leurs emblèmes se dressaient aux côtés du renard.

Au premier rang, l'oriflamme sinople ornée de l'ours des Rhodives la narguait plus que nulle autre.

Un pas familier tira Dista de ses pensées. Son précepteur, Cistote Virmain, un quadragénaire aux tempes blanchissantes, s'inclina et lui tendit sa pelisse. La princesse secoua la tête. Elle ne grelottait pas : elle frémissait.

De terreur, de tristesse, de rage.

— Votre Altesse, vous devriez rentrer.

La lassitude dans sa voix l'alerta. Elle se retourna vers lui et se heurta à son regard résigné. La jeune fille savait fort bien que Cistote et le reste de sa maisonnée priaient pour qu'elle cède aux demandes de son cousin.

Fuir, abandonner son fief, survivre.

Tous espéraient que l'héritière des Arvagna renoncerait à la vengeance aveugle qui guidait ses décisions. Nul n'avait envisagé que son peuple se soulèverait contre Rehard et alimenterait sa détermination. Dût-elle périr lors de la prise de Goragna, la princesse de seize automnes refusait d'abdiquer. Les légions qui se pressaient au pied de ses remparts ne faisaient que nourrir sa haine.

Une bouffée de compassion envahit la jeune fille. Elle acquiesça et emboîta le pas à Cistote.

Ils regagnèrent le donjon sans un mot.

Dista traversa la pièce sans accorder la moindre attention aux bougonnements de Tornos, le bâtard de Todvis. Le prince de treize ans s'acharnait, avec un poignard offert par son père, à entailler l'imposante table en chêne trônant au milieu de la grande salle.

Les Carmidor - T1 : Trahir et Survivre [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant