1. Retard ~ Elise

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Zut, zut, zut ! Où ai-je mis ce foutu passeport ? J'étais pourtant certaine de l'avoir rangé avec mes billets d'avion ! Un coup d'œil à ma montre et mon stressomètre grimpe en flèche. Je vais être à la bourre si ça continue ! J'ai déjà vidé mon sac à dos, j'ai même fouillé mon vanity case ! Et rien ! Nada ! À moins que je ne l'aie glissé dans ma valise par inadvertance en y rangeant mes fringues ? Oui, ça doit être ça ! Je me jette sur la bête, l'ouvre et fouille frénétiquement dedans. Après cinq bonnes minutes de recherche méthodique, je mets enfin la main sur mon Graal. Rapidement, je bourre mes piles de vêtements malmenées dans la valise et la ferme. Ou plutôt je tente de le faire, car l'opération de recherche a mis à mal mon optimisation de l'espace. Plus le temps de ressortir mes fringues pour les replier correctement. Je passe au plan B. Les fesses enfoncées dans le couvercle, j'esquiche son contenu jusqu'à pouvoir la fermer. Je dois m'y reprendre à plusieurs reprises malgré mes cinquante-huit kilos, car il y a toujours un bout de tissu qui se coince sur les bords. Enfin, au bout de la troisième tentative, j'arrive à rapprocher suffisamment les bords pour enclencher les leviers de fermeture et j'entends les deux clics qui m'assurent du verrouillage de la bestiole. Ça y est tout est prêt !

Nouveau coup d'œil sur ma montre. Zut, je suis en retard sur mon horaire prévisionnel. Voilà mon stressomètre qui remonte. Je passe la lanière de mon sac à dos sur une épaule, empoigne mon vanity case et tire ma valise en courant pour sortir. Je ferme la maison et m'engouffre dans la voiture avec mes bagages et me voilà partie ! Je n'ai pas l'habitude de conduire un monospace avec une boîte automatique, alors il me faut quelques minutes pour m'habituer aux dimensions de l'engin et à l'absence de pédale d'embrayage. Je dois bien reconnaître qu'en matière de conduite, la voiture de ma tante est top. Et elle est bien plus confortable – et plus silencieuse sans mes cousins dedans – que ma citadine. Sans compter que je peux rouler plus vite qu'avec ma boîte de conserve, et en toute sécurité ! Bien évidemment, je me tape les embouteillages au niveau de la zone industrielle des Milles. Sur le tableau de bord, les minutes défilent plus vite que les kilomètres. Punaise ! Si ça continue, je vais vraiment louper mon train !

Un quart d'heure plus tard je vois avec soulagement la gare TGV de l'Arbois se profiler droit devant. Moi qui me croyais tirée d'affaire, je déchante en constatant que les parkings sont bondés. Impossible de trouver une place proche du bâtiment. Je refais un second tour, sans plus de résultat et pendant un court instant, je suis tentée de garer le monospace en bord de route comme beaucoup le font. Malheureusement ce n'est pas envisageable, car mon oncle et ma tante ne pourront le récupérer qu'à leur retour de vacances. La probabilité pour que le véhicule soit toujours intact au bout d'une semaine est quasi nulle. Je dois impérativement trouver une place. Et vite !

Au gré de mes passages, je repère un parking avec quelques places libres. Évidemment, c'est le plus éloigné du bâtiment. Tant pis ! Je n'ai plus le temps de faire la fine bouche, j'y vais. Une fois garée et les bagages sortis, un coup d'œil à ma montre me confirme que je n'ai plus une seconde à perdre. Je traverse le parking au pas de charge et une fois au bout, ne pouvant me permettre d'attendre l'ascenseur, j'empoigne mon bagage et dévale l'escalier métallique. Arrivée en bas, sur la route circulaire qui ceinture la gare, je cours et emprunte la bande piétonne sur une centaine de mètres. Alors que je descends quelques marches, j'entends le TGV entrer en gare.

Non ! Hors de question de le rater ! Tu as intérêt à te bouger le popotin, ma cocotte !

Je cours comme une dératée. Ma valise ne roule plus sur le goudron, elle vole littéralement derrière moi. Je traverse le hall comme une folle furieuse, mes mèches me fouettant le visage, marque une pause de quelques secondes pour composter mon billet avant de me ruer sur le quai, pile au moment où le haut-parleur annonce la fermeture des portes. Ni une ni deux, je m'engouffre dans le premier wagon. La porte se referme juste derrière moi, manquant de peu de pincer mon sac à dos, et accessoirement mes fesses. À bout de souffle, je m'effondre lamentablement sur le sol, alors que le train commence à rouler tout doucement.

Après plusieurs minutes d'hyperventilation, les battements frénétiques de mon palpitant se calment enfin et mes halètements dignes d'un chien asthmatique se font plus discrets. Je dégouline littéralement de transpiration. Piquer un sprint en étant chargée comme un mulet par presque trente degrés n'est pas l'idéal pour rester fraîche comme une rose. Ceci dit, je pense qu'à peu de chose près, je dois en avoir la couleur écarlate, à défaut d'en avoir le parfum. Alors que le TGV s'élance à pleine vitesse dans la campagne aixoise, je remets un peu d'ordre dans mon apparence : quelques gorgées d'eau pour m'hydrater, un rapide passage de kleenex pour m'essuyer le visage et je me sens mieux. Il ne me reste plus qu'à trouver ma place. D'après mon billet, je suis sept wagons trop loin alors il ne me reste plus qu'à remonter le train, malheureusement bondé.

Mon sac à dos sur les épaules, j'empoigne ma valise et mon vanity case – et accessoirement mon courage à deux mains – pour me lancer dans l'épopée infernale. Traverser un wagon entier en tirant des bagages qui pèsent un âne mort tout en luttant contre les secousses et les balancements, relève du parcours du combattant, alors en traverser sept ne présage pas une partie de plaisir. J'arrive dans le sas du troisième lorsqu'un contrôleur m'intercepte. Je pose mon chargement et lui présente mon billet.

— Que faites-vous ici, madame ?

Je ne peux réprimer une grimace en voyant son air perplexe.

— J'étais en retard, j'ai dû monter dans le premier wagon à ma portée. Mais ne vous inquiétez pas, je vais rejoindre ma place maintenant.

— Hum, je ne crois pas, madame. D'après votre billet, vous deviez allez à Paris, mais vous êtes dans le train qui va vers le sud-ouest.

Mon palpitant rate un battement. C'est quoi, cette histoire ? Je suis certaine d'être dans le TGV pour Paris Gare de Lyon. J'ai parfaitement entendu l'annonce à la gare de l'Arbois. Avec une pointe d'appréhension, je demande des explications :

— Comment ça ?

— Ce TGV est composé de deux trains. Seules les huit premières voitures montent à Paris, les huit dernières vont vers Montpellier et Narbonne. Le train se scindera en deux à Avignon.

OK, je ne suis pas au bon endroit, mais ça peut facilement s'arranger, inutile de céder à la panique.

— Dans ce cas, il suffit que je passe dans la première partie du TGV avant qu'il arrive à Avignon ?

— Malheureusement non. Ils sont indépendants.

Là, je peux paniquer ! Ça se présente mal pour moi et je commence à m'affoler :

— Mais comment je vais faire ? Je ne veux pas aller à Montpellier, moi !

— La seule solution est que vous changiez de train à Avignon pendant l'arrêt. Vous aurez quelques minutes pour effectuer votre transfert, le temps que la séparation des motrices s'effectue et que les voyageurs montent à bord.

Il me rend mon billet et me salue avant de poursuivre sa progression, me laissant désemparée. Après quelques minutes de réflexion, je décide de continuer à avancer, histoire de me rapprocher le plus possible de mon objectif. Arrivée à la première voiture de cette partie du train, je m'installe du mieux que je peux dans le sas en attendant que nous arrivions à Avignon.



Esquicher : verbe provençal utiliser dans le Sud pour serrer, presser, comprimer.

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Et voici notre héroïne... mon portrait craché quand il s'agit de faire des gaffes en voyage !  Ca c'est du vécu ! Ma première montée à Paris pour le festival du livre en 2018 a commencé comme ça !

ENFER AU PARADIS (Edité chez Amazon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant